Renoncer à la parentalité pour l’environnement: un choix aux multiples teintes de vert

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« Je n’ai pas le goût de regarder un enfant dans les yeux et de lui dire que c’est de ma faute s’il est sur terre, avec la condition actuelle de la planète. » De nombreux jeunes ne souhaitent pas avoir d’enfants, car ils craignent pour l’avenir de la planète. Photo: Coralie Laplante

« Ça c’est quand même profond. Je ne sais pas si c’est arrivé souvent dans l’histoire de l’humanité, à part dans des moments de très grands conflits, que des personnes ne veulent pas mettre au monde des enfants pour des raisons écologiques. »

Le chargé de cours en écoconseil à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) et détenteur d’une maîtrise en éthique, Ian Segers, a vu le terme « écoanxiété » apparaître de plus en en plus fréquemment dans les discussions de ses étudiants, au fil de ses douze années d’enseignement.

Le spécialiste considère que cet état d’esprit peut mener certains individus à ne pas vouloir d’enfant dans le but de freiner les changements climatiques. Il s’agit d’une décision adoptée par plusieurs jeunes, qui découle d’une multitude d’enjeux.

« Je n’ai pas le goût de regarder un enfant dans les yeux et de lui dire que c’est de ma faute s’il est sur terre, avec la condition actuelle de la planète. » Pour Paul-Édouard Vallée, un cégépien de 21 ans, ne pas mettre au monde un être humain fait partie des « choses les plus faciles à faire » pour contribuer à la préservation de la biodiversité.

Son homologue, Gabriel Sabourin, partage la même vision. « Les humains en général sont très dommageables, ils causent beaucoup de gaz à effet de serre. Je ne veux pas en rajouter encore plus », affirme-t-il.

Pour Ian Segers, ce type de réflexion trouve sa source dans deux aspirations. Il s’agit de ne pas vouloir mettre au monde un individu dans un environnement incertain où sa sécurité n’est pas garantie, et du désir de ne pas provoquer une charge écologique humaine supplémentaire.

Cependant, une professeure et chercheuse au département des sciences humaines et sociales de l’UQAC, Hélène Vézina, précise que la question de la surpopulation n’est pas à prendre en considération dans la décision d’avoir un enfant, ou non, en fonction d’aspirations écologiques. « Oui, la population mondiale est encore en croissance. Mais, cette croissance a atteint son rythme maximal à la fin des années 1960, et son rythme décroit depuis », explique-t-elle.

La chercheuse au département des sciences humaines et sociales de l’UQAC, Hélène Vézina, explique que la question de la surpopulation n’est pas à prendre en considération à savoir si une personne souhaite, ou non, avoir des enfants pour des raisons écologiques. Photo: Coralie Laplante

Un manque de confiance politique

« Le gouvernement ne nous écoute pas, il ne veut pas faire avancer les choses, malgré tout ce qu’on fait en tant qu’étudiants. » Jeannick Martin-Desjardins s’implique dans la cause environnementale dans le cadre de son parcours au Cégep de Jonquière. Elle ne souhaite pas mettre d’enfant au monde, car elle considère que le gouvernement n’a pas de plan d’action clair afin de freiner les changements climatiques.

Noémie Noël, une universitaire de 20 ans, est du même avis. « Les gouvernements [doivent reconnaître] leur rôle à jouer dans la situation. La majorité des personnes ont élu le gouvernement libéral pour ses valeurs progressistes, et pourtant, on investit dans un pipeline… », déplore-t-elle.

Jeannick Martin-Desjardins considère que les gouvernements ne s’engagent pas suffisamment dans la lutte contre les changements climatiques. Photo: Coralie Laplante

Interrogé sur cette réflexion de nombreux jeunes, Ian Segers dit lui aussi partager cette frustration. « Je pense que ça fait plusieurs années qu’on fait la stratégie des petits pas, et qu’on attend que les gouvernements mettent en place des stratégies politiques fortes concernant les changements climatiques », affirme l’écoconseiller. Il croit que les actions des citoyens écoresponsables ont leurs limites, et que ces changements d’habitudes doivent s’arrimer avec une volonté provinciale de lutte aux changements climatiques.

La professeure titulaire en sociologie à l’Université de Montréal, Deena White, apporte cependant un bémol aux justifications de ces étudiants. La sociologue conçoit que le fait de ne pas vouloir d’enfant n’est pas encore une idée généralement acceptée. Ce contexte peut pousser des individus à justifier leur décision aux moyens d’arguments plus « nobles ». Des explications qui ne concernent pas des préférences personnelles ou des craintes, telles que celle d’accoucher, sont davantage socialement admises.

« Le «vocabulaire» va changer d’une époque à l’autre. Par exemple, dans les années 1960, un motif valable était la conviction que la planète va se détruire par la guerre atomique, alors que dans les années 2000, c’est plutôt par la dégradation environnementale », précise Mme White par courriel.

Malgré tout, l’ensemble des jeunes adultes questionnés sur leur désir de ne pas vouloir d’enfants pour des raisons environnementales considèrent que l’adoption est une avenue intéressante, dans le cas où leur instinct parental se manifesterait.

Des mouvements pour l’avenir

Les individus qui ne désirent pas d’enfant pour des raisons environnementales ne sont pas des cas isolés. Au Royaume-Uni, un mouvement citoyen fondé en 2018 s’intéresse à cette question. Il s’agit de Birth Strike, qui réunit notamment plusieurs personnes qui affirment ne pas vouloir d’enfant tant que l’état de la planète ne s’améliore pas.

Au Québec, l’organisation Mères au front regroupe plutôt des femmes qui souhaitent protéger l’environnement pour garantir le futur de leurs enfants, et de leurs petits-enfants. Le mouvement effectue de nombreuses actions pour faire valoir leur point de vue, telles que des manifestations, des envois de lettres à des élus et des événements de sensibilisation.

La coordonnatrice de la division de Mères au front à Saguenay, Anne-Marie Chapleau, affirme que cette mobilisation citoyenne se base sur l’amour pour les générations futures. Ayant une formation scientifique, Mme Chapleau énonce qu’elle est en mesure d’expliquer en détail les causes des changements climatiques, mais que souvent, ce n’est pas ce qui va amener les individus à se mobiliser pour la planète.

« Ce qui touche les gens, c’est le plan émotif. Quand il y a des crises, des catastrophes, on pense à ce qui compte vraiment : on veut prendre soin de ceux qu’on aime », détaille-t-elle.

Anne-Marie Chapleau affirme que Mères au front croit qu’il est encore temps de renverser le cours des changements climatiques. La coordonnatrice aspire à ce que l’état de la planète ne fasse pas partie de l’équation dans la décision d’un jeune à savoir s’il désire avoir un enfant. « Je souhaite qu’on s’engage pour que les jeunes disent avec espoir que oui, la vie va être possible [même si] elle ne sera pas identique », explique-t-elle.

Pour la chercheuse Hélène Vézina, il est avant tout primordial que les individus évoluent dans une société dans laquelle chaque personne a le choix d’avoir un enfant ou non.

L’écologiste Ian Segers a quant à lui espoir que les futures générations contribueront à bâtir un monde meilleur. « Ils font partie de la solution quelque part, les gamins », lance-t-il.

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