Réseaux sociaux : le danger qui guette la liberté d’expression

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« Lorsque les gens débattent dans une sphère parallèle loin des institutions politiques traditionnelles, c’est là qu’on a une crise de liberté d’expression. » Pour le professeur en sciences politiques à l’UQAC Étienne Roy-Grégoire, l’essor des réseaux sociaux vient avec son lot de conséquences. 

Même s’il croit qu’un espace public « pur » comme celui de la Grèce antique n’a jamais existé dans une démocratie moderne, le professeur juge que les médias traditionnels faisaient un bon travail pour filtrer les opinions sur la base de leur rationalité. Avec les réseaux sociaux, c’est plus difficile, puisque chacun peut s’exprimer sans difficulté.  

« En démocratie, le mécanisme qui mettait les pires idées de côté et les meilleures de l’avant existe de moins en moins, affirme-t-il. Des idées qui auraient été choquantes et scandaleuses il y a 10 ou 15 ans sont aujourd’hui véhiculées par des dirigeants populistes, parce qu’ils ont maintenant une audience pour ce genre de propos. » 

L’exemple le plus actuel pour illustrer cette problématique, c’est le « convoi de la liberté », qui a pris Ottawa en otage pendant des semaines.

Doctorant en sciences politiques de l’Université D’Ottawa, Étienne Roy-Grégoire a travaillé plusieurs années dans le domaine des droits humains en Colombie et au Guatemala. (Photo : courtoisie)

« Autour de ça, il y a clairement des gens qui sont rassemblés autour d’une vision du monde qui nous paraît bizarre parce qu’elle s’est développée dans un vase clos. […] Je ne peux pas imposer la vérité à quelqu’un qui fait des rapprochements entre Justin Trudeau et le régime Nazi. C’est tout le problème : j’ai l’impression qu’on n’a pas de références communes avec ces gens-là. » 

La culture de l’annulation, qui prend de l’ampleur depuis quelques années et qui touche directement la liberté d’expression, circule aussi particulièrement sur les réseaux sociaux.  

Selon le professeur en médias émergents à l’UQAC Hervé Saint-Louis, des individus qui contribuent à cette culture font désormais de leurs valeurs des normes sociales à respecter. 

« Le problème, c’est qu’on juge maintenant selon nos idées personnelles et non pas sur le savoir-vivre. C’est néfaste, parce qu’on attaque quelqu’un et que la personne se fait juger sur la place publique. » 

Une Chaire spécialisée à l’UQAC 

À la mi-février, l’UQAC a annoncé la mise sur pied de la Chaire de recherche France-Québec sur les enjeux contemporains de la liberté d’expression. L’élaboration de sa structure devrait encore prendre quelques mois. 

Cette Chaire, qui compte s’inspirer du modèle de la très réputée Chaire Raoul-Dandurand, vise à « tenir un rôle de vigie et demeurer à jour sur les enjeux de liberté d’expression », remarque la professeure au département des sciences humaines et sociales de l’UQAC, Geneviève Nootens. Elle y voit un projet d’envergure qui constitue une première dans la province pour son thème ainsi que sa formule, et qui s’inscrit parfaitement dans l’air du temps.

Comme l’explique Mme Nootens, des experts de plusieurs milieux universitaires (droit, politique, sexologie, arts) ont été approchés par la Chaire. (Photo : courtoisie)

À son avis, le fait que la CAQ ait investi 1,7 million de dollars, à parité avec le gouvernement français, démontre toute l’importance du projet. « Le droit à la liberté d’expression, c’est fondamental dans une société démocratique et c’est protégé par le droit international », relate-t-elle. 

« Dans les 10 dernières années, on a souvent entendu dire qu’on ne peut pu rien dire. Ce n’est pas vrai, mais je pense que lorsqu’on dit n’importe quoi, on s’en tire à peu de frais », renchérit Étienne Roy-Grégoire. 

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