Que se cache-t-il derrière votre tasse de café quotidienne ?
Le café, longtemps réservé à une élite, s’est hissé en peu de temps au rang de la deuxième boisson la plus consommée dans le monde après l’eau. Devenu un produit que l’on retrouve fréquemment dans les paniers d’épicerie, il est également le premier produit alimentaire et deuxième bien de consommation échangé dans le monde. Le café est un commerce lucratif qui profite largement à l’hémisphère Nord, où l’on trouve les plus gros consommateurs mondiaux de café. Une forte demande qui pourrait pourtant couvrir une forme de dépendance.
« Le matin, si je n’ai pas mon café, il ne faut pas venir me parler », une affirmation dans laquelle Anabelle Dubé, 20 ans, se retrouve bien. « J’ai commencé à réellement consommer du café vers mes 15 ans, à cause de l’influence de ma famille », explique l’étudiante en préposé aux bénéficiaires. Le café, en plus d’être une routine sociale, fait également partie de la culture québécoise.
Selon les données de l’entreprise Statista et de l’Association canadienne du café (ACC), les Canadiens figurent parmi les plus gros consommateurs mondiaux de café. Avec plus de 1.6 milliard de tasses à usage unique, près de 5.5 kg de café par habitant et par an, et une moyenne de 2.7 tasses de café consommées par jour, le pays se place en 5e position du classement. Les premières places étant détenues par des pays européens tels que la Finlande, la Suisse ou l’Islande.
Pendant la pandémie, consommer du café est resté une habitude très ancrée chez les Canadiens, et plus spécifiquement au Québec. Selon un rapport de 2019 de l’ACC, les Québécois se placent premier au classement, suivi des Britanno-Colombiens. Une affirmation que ne peut pas démentir la co-propriétaire d’Elojia, une micro-torréfaction basée à Alma, Bianca Fortin. La pandémie a propulsé sa brûlerie, ouverte il y a quatre ans. « Avant la pandémie, je pouvais avoir trois ou quatre commandes par semaine. Mais depuis, je peux en faire 50, 60 ou 70 en une semaine », explique-t-elle. D’ailleurs, toujours selon l’ACC, avant la pandémie, 78 % des Canadiens avaient du café frais chez eux, contre 87 % en octobre 2020.
Du café rapide et en tout temps, c’est ce qu’offrent de nombreuses multinationales et chaînes de café. Mais ce commerce cache aussi ses zones d’ombre.
L’envers du décor
Ce marché n’est pas florissant pour tout le monde. Selon ce que rapporte la thèse de l’étudiante en maîtrise de l’environnement, Jennifer Schwankner, le chiffre d’affaires de Starbucks serait de près de huit milliards de dollars américain, alors qu’un producteur de café éthiopien, par exemple, gagnerait moins de 300 $ par an. Selon Équiterre, la fortune de Starbucks équivaut à 75 % du PIB de l’Ethiopie, qui est le 5e producteur de café au monde. Plus de la moitié (69 %) des parts du marché du café sont d’ailleurs détenues par cinq multinationales : Kraft, Nestlé, Procter & Gamble, Sara Lee et Tchibo.
Les grosses multinationales veulent produire toujours plus de café pour satisfaire les besoins grandissants de la population. Mais souvent, cela se fait au détriment des producteurs de café et de l’environnement. D’après l’une des membres travailleurs du Café Cambio, situé à Chicoutimi, Johanne Morin, « les grands producteurs de café qui ne sont pas certifiés équitables ne respectent pas la couverture ombragée, indispensable pour faire pousser du bon café, éviter les maladies et respecter le plant ».
Une empreinte environnementale
En plus de la pollution liée à la production, à l’emballage et au transport, les plantations de café, si elles ne sont pas certifiées équitables, peuvent aussi provoquer la déforestation et sont très gourmandes en eau. Selon un rapport de l’ONG WWF (World Wild Fundation), « l’empreinte eau » d’une tasse à café serait de 140 litres, de la graine à la tasse.
Si la production de café est coûteuse en électricité et en eau potable, la consommation l’est également et produit beaucoup de déchets. Dans la ligne de mire des écologistes : les capsules qui permettent de se faire couler un café presque instantanément. Comme le souligne Jennifer Schwanker, en ce qui concerne les K-Cup de Keurig, « C’est 5.5 g de matériaux qui sont utilisés pour l’emballage, contre 9.81 g de café. » Si l’utilisation de matériaux pour une capsule peut paraître énorme, Keurig s’est assuré de l’aspect environnemental de ses capsules en privilégiant des matériaux recyclables et non compostables. Keurig a aussi créé un système de sac poubelles de couleurs pour trier les capsules, ainsi qu’un transport moins coûteux en énergie. En revanche, le premier geste de recyclage appartient au consommateur, et cela reste à son bon vouloir.
Consommer responsable
Le meilleur café à consommer, au-delà de toute saveur, est probablement le café certifié équitable et biologique, puisqu’il permet, par le biais de coopératives, d’accords et de règles strictes, de garantir un produit respectueux de l’environnement et de l’humain. Le label Fairtrade fait partie des organismes internationaux à but non lucratif les plus connus dans le monde. Il délivre des certifications équitables et permet d’améliorer les conditions de vie des producteurs et de leur village. Une certification de la part de Fairtrade assure un partenariat d’égal à égal. Au Québec, c’est l’Association québécoise du commerce équitable qui fait office de référence. Une association à laquelle le café Cambio adhère également.
Les membres de ce dernier, ainsi que les coopératives auxquelles ils sont associés, estiment qu’il est important d’être proches des producteurs et de les aider à vivre. « Le producteur fixe lui-même son prix, et Fairtrade fixe un prix plancher en-dessous duquel on ne peut pas descendre pour la prime équitable, explique Johanne Morin, ensuite, le montant est redistribué aux membres de la coopérative pour améliorer leurs conditions de travail et de vie, pour construire des hôpitaux ou des écoles… »
Le Café Cambio importe son café de plusieurs pays comme Haïti, le Guatemala, le Mexique, le Pérou, ou encore le Nicaragua. Ils essaient surtout de rester fidèles aux mêmes producteurs, pour leur permettre d’instaurer une stabilité et ainsi prévoir leur production. Ouvert il y a 15 ans, l’organisme fait figure de précurseur en termes de sensibilisation au commerce équitable dans la région. « Au début, on avait une réputation de baba cool, se souvient l’employée du Café, les gens pensaient que le bio c’était une arnaque pour vendre des produits plus chers. Mais maintenant, ils apprécient. »
L’attrait pour les brûleries et les micro-torréfactions est grandissant dans la région. Aujourd’hui, la Ville de Saguenay dispose de quatre brûleries, avec un attrait croissant pour le bon café. Une tendance qui pourrait cependant cacher une forme de dépendance inconsciente.
Un café pour se réveiller
Commencer sa journée par boire un café peut paraître anodin, mais pour certains, il s’agit d’un véritable rituel qu’il ne faut pas bafouer, sous peine d’une journée gâchée. « J’ai vraiment du mal à me réveiller si je n’ai pas de café, avoue Johanne Morin. J’aime tous les rituels liés au café, mais particulièrement son aspect stimulant et socialisant. » Pour Anabelle Dubé, boire du café est un besoin primordial. « J’en ai toujours besoin d’un en me réveillant, et si je n’en prends pas, je peux ressentir de la fatigue et devenir irritable », confie la jeune étudiante.
Selon le professeur de psychologie et directeur du programme de doctorat en psychologie à l’UQAC, Daniel Lalande, le café peut être considéré comme une drogue. « Les aspects et les effets secondaires sont moins pires et plus acceptables socialement, souligne-t-il, mais quand on n’est plus capable de s’en passer, et qu’on ne peut pas vivre sans, c’est qu’il y a une forme de dépendance ».
Une dépendance qui peut prendre plusieurs formes. « On peut être dépendant d’une habitude autour du geste, ou de l’acte de socialisation lié à la consommation de café, ou bien montrer une dépendance psychologique, lorsqu’on n’a plus les effets et qu’il faut consommer du café pour éviter les sensations désagréables », explique le professeur de psychologie.
Alors que les bienfaits de la caféine paraissent clairs : lutter contre la fatigue, se sentir plus performant, se sentir intégrer dans un groupe ou se réconforter, les dangers le sont moins. Sans parler de l’altération de la couleur des dents ou de la peau, la consommation de caféine, si elle est trop intense peut « nuire à la productivité d’une personne, altérer ses priorités et créer un besoin supplémentaire », selon Daniel Lalande.