Vieillesse ennemie ?

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Entre 2019-2020, on estimait que 1,1 million de Canadiens âgés se sentaient seuls, selon Statistique Canada. (Photo : Coline Lafargue)

Les voit-on vraiment, nos anciens ? Sait-on comment ils vivent ? À Saguenay, 1 personne sur 4 est âgée de 65 ans et plus, selon l’Institut de la statistique du Québec. Parmi ces ainés, certains sont entourés et vivent bien leur retraite.  D’autre, à l’inverse, souffrent d’un tragique isolement.

Coline Lafargue

Dix heures du matin, personne dans la salle à manger, à l’exception de Madeleine, 83 ans, assise, seule, à une petite table près de la fenêtre, dans un silence pesant. Madeleine a été institutrice. Elle vit dans une maison de retraite depuis 2017. Le reste du groupe participe aux activités proposées du mardi matin : atelier de tricot, bingo. Cela ne l’intéresse pas. D’un signe de la main elle m’invite à m’asseoir à ses côtés.

Elle parle de ses journées qui défilent, les unes après les autres, identiques, comme un lent carrousel qui ne s’arrête jamais. « Ce n’est pas que je n’aime pas les autres résidents », précise-t-elle. « C’est juste que… je me sens toujours à part. Ils discutent, rient, mais moi… je ne me sens pas là. »

Le plus souvent, elle retourne dans sa chambre, où elle feuillette des albums photos usés par le temps. « J’ai des albums remplis de souvenirs. Mais quand je ferme l’album… tout redevient vide », dit-elle avec un sourire triste. Madeleine prend une gorgée de thé. Ses mains tremblent légèrement.

La maison de retraite propose des activités variées : chant, peinture, cours de danse, balades. « Les autres aiment ça, je suppose… Mais moi, je ne ressens plus rien. Je me souviens du temps où je prenais plaisir à enseigner, à voir mes élèves s’épanouir. Aujourd’hui… je ne sais pas. »

« Il faut vraiment aller les chercher, les forcer un petit peu »

Myriam Lessard, éducatrice spécialisée à la maison de retraite Le Noble Âge à Jonquière, a mis en place plusieurs activités et animations pour lutter contre l’isolement des résidents.

 

Myriam Lessard, Éducatrice spécialisée à la résidence Noble Age de Jonquière (Photo : Coline Lafargue)

Elle considère que cet objectif est au cœur de son engagement professionnel. Du lundi au vendredi, elle propose une multitude d’activités. Ce qui stimule le plus les résidents, ce sont les visites d’animaux, la présence d’enfants, la musique, ainsi que les ateliers de bricolage. Même si la plupart « viennent d’emblée », il faut aussi « aller les chercher, les forcer un petit peu ».

Madeleine, elle, échappe à chaque fois à ce genre d’activités. Ce qui n’est pas le cas de Patrice.

Patrice Belley, résident de la résidence Noble Age de Jonquière (Photo : Coline Lafargue)

On l’appelle « Patrice national », parce qu’ici, tout le monde le connaît. À 42 ans, Patrice Belley, atteint de troubles cognitifs, vit à la maison de retraite Noble Age depuis 2019. Il se dit « super entouré ».

Son sourire est lumineux, il rayonne. Il est en quelque sorte porté par l’affection des autres et les activités partagées, comme les ateliers artistiques qu’il apprécie tout particulièrement. « Avec Myriam, on fait plein de trucs », raconte-t-il, la voix vive. « On discute, on rit… ça fait du bien. » Dans ses mots simples, on sent l’importance de ces interactions pour lui, ce lien ténu mais vital qui le relie aux autres.

« Monique musique »

« Monique Musique », une résidente de 83 ans atteinte d’Alzheimer, m’accueille avec un sourire chaleureux dans son fauteuil fétiche, un peu usé par les années. Monique Côté fait partie de ceux qui vivent leur retraite pleinement, après avoir travaillé toute sa vie à Québec et à Chicoutimi, où elle exerçait en tant que technicienne en diététique.

Monique Côté, résidente de la résidence Noble Age de Jonquière (Photo : Coline Lafargue)

L’odeur douce de son parfum flotte dans l’air, tandis que des notes de musique s’échappent d’un vieux poste à radio. « Moi, je suis là depuis un an (en réalité depuis 2016). Et je te le dis, je suis une pourrie gâtée ! » dit-elle en plaisantant.

« Je participe à toutes les activités de Myriam ! », raconte-t-elle avec fierté. « Et ma préférée, c’est le chant. Ah, ces chanteurs de Jonquière… ils sont magnifiques ! ». Voilà son échappatoire, un moyen de se reconnecter à la vie d’avant, pleine de rencontres et de musique. Elle parle de son fils, Stéphane, un homme occupé, mais toujours présent malgré tout. « Mon fils, c’est mon trésor. Il s’occupe de tout pour moi. J’ai de la chance, vraiment. »

Rien n’est jamais gagné

Cependant, derrière cette apparente légèreté, ces moments de vie, de rires, de discussions, l’ombre de l’isolement pèse lourdement. « Il y a ceux qui, même entourés, se sentent seuls. C’est tragique. Les familles viennent parfois, mais elles ne savent pas toujours quoi dire. C’est difficile pour elles aussi », explique Myriam Lessard.

Elle évoque la difficulté que rencontrent certaines familles lorsque, face à des maladies telles que la démence, elles se trouvent face à des situations déchirantes. « Parfois, il y en a que je comprends de ne plus venir. Imaginez, un parent qui ne reconnaît plus son enfant ou qui, dans un moment de confusion, le rejette de sa chambre… » Sa voix se fait plus douce, presque mélancolique.

Les familles peuvent faire appel à elle pour passer plus de temps avec les résidents, pour combler le manque de visite de leurs proches. « Je suis là pour eux ».

Les bénévoles en soutien

Christine Sirois, coordonnatrice du Centre d’Action de service de bénévoles de Saguenay pour les appels, visites d’amitié et le service d’épicerie, se consacre aussi quotidiennement à briser l’isolement des personnes âgées. Grâce à son équipe de 78 bénévoles, elle veille à ce que les aînés, souvent seuls et fragiles, retrouvent un contact humain et du soutien pour leurs besoins essentiels.

Un service d’épicerie est destiné aux personnes âgées de 65 ans et plus, qui ne peuvent plus se déplacer. Chaque semaine, un bénévole prend contact avec l’aîné, récupère sa liste d’épicerie, fait les courses et lui livre directement chez lui. « Ce n’est pas seulement un service pratique, mais aussi un lien humain. La personne attend cette visite. »

Christine souligne que ce service a vu le jour au début de la pandémie de COVID-19 et qu’il perdure depuis, répondant à un réel besoin. « La pandémie a révélé à quel point beaucoup d’aînés étaient isolés. Certains ne voient personne d’autre dans leur semaine. ».

Carole Lessard fait partie de ces bénévoles. « On écoute, on rassure, on apporte un peu de réconfort. ». Ça paraît peu, mais c’est beaucoup. Pour lutter contre l’oubli, contre la douleur, physique comme morale. « Je suis peut-être la seule personne avec qui il (un aîné) parle de la journée, voire de la semaine… » confie-t-elle en regardant à travers la fenêtre.

 

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