Un combat pour une vie et celles à venir

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Le banc commémoratif à la mémoire de Jessica Sarli-Rivera. (Photo Antoine Bittar)

Jessica Sarli-Rivera n’avait que 26 ans lorsqu’elle a perdu la vie dans un accident de la route provoqué par un conducteur sous l’influence de l’alcool. Au Québec, depuis 2001 des familles se battent contre «les lobbys et une machine politique fermée».

Ce soir-là, avant une sortie entre amis, elle avait pris le temps de monter dire au revoir à son père avant de partir, un geste simple, mais marquant pour lui. « Elle avait dit de ne pas s’inquiéter », se rappelle Antoine Bittar, son père. Quelques heures plus tard, la voiture dans laquelle elle se trouvait a percuté une barrière sur l’autoroute. Si ses amis semblaient s’en être sortis avec peu de blessures, Jessica, elle, est décédée malgré les efforts des ambulanciers pour la réanimer.

Pour sa famille, le choc fut insoutenable. « Quand j’ai ouvert la porte et vu les policières, j’ai compris, raconte son père. Elles m’ont regardé, je comprenais. Je comprenais que c’était grave. J’ai reculé et j’ai crié dans la maison. “Qui n’est pas là ! Qui n’est pas là !” Le plus vieux de mes fils travaillait de nuit, on ne savait pas qui était rentré. »


Depuis ce drame, ils se battent pour une cause : éviter que d’autres familles ne vivent un tel cauchemar. Lors des dernières consultations publiques à l’Assemblée nationale, le couple s’est positionné comme principal instigateur de la pétition pour un abaissement de limites à 0,05%.

Des familles martyres et des démarches interminables

L’histoire de Jessica résonne avec le débat actuel sur l’abaissement du seuil légal d’alcoolémie à 0,05 % au Québec. Déjà adopté dans d’autres provinces canadiennes, ce seuil a permis de réduire les accidents de 20 à 50 % selon les études, comme le rappelle Marianne Dessureault, de l’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ).


Au Québec, tous les ans, la conduite avec les facultés affaiblies cause en moyenne 90 décès par année et 190 blessés graves selon les derniers chiffres de la SAAQ.
Alors que la question continue de diviser, l’histoire de Jessica rappelle qu’un simple geste, une décision irréfléchie, peut coûter une vie. Aujourd’hui, pendant que les rapports s’empilent, la famille de Jessica s’indigne.

« En fin de compte c’est nous qui avons une sentence à vie. Ils iront à leur mariage, ils auront leurs fêtes, leurs amis. Nous, on a plus de Noël, on a plus de fêtes, on a plus de famille. J’aurais préféré emmener ma fille à son mariage plutôt qu’au crématorium. »


La prévention et ses limites

Les bars et tavernes, lieux de consommation par excellence, sont également interpellés sur leur rôle dans la prévention. Renaud Poulin, président-directeur général de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec, souligne les efforts déjà en place. « Oui, au fil des années, on a développé des façons de sensibiliser notre clientèle. Déjà, nos employés sont avertis. Quand ils voient quelqu’un qui a consommé plusieurs alcools, ils doivent l’aviser et lui demander de faire attention », assure M. Poulin.


Pourtant, selon la famille de Jessica, ces efforts restent insuffisants face à la gravité des conséquences. « Une voiture, c’est une arme. Et un verre, c’est une balle de plus dans le pistolet », déclare le père de la jeune femme, qui milite pour un changement radical des comportements.


Si les débats sur cette mesure sont houleux, notamment en raison des résistances des lobbys de l’industrie, un espoir demeure chez les jeunes générations. Cette perception pourrait alors évoluer, « le 0,05 est davantage accepté. Souvent, l’habitude de ne pas boire quand on conduit est d’autant plus naturelle », affirme Mme Dessureault.

Des initiatives sans grand succès


Courant 2013, au moment où la France rend obligatoire la mise à disposition d’éthylotests par les bars, le président-directeur général de la Corporation des propriétaires de bars, brasseries et tavernes du Québec de l’époque se dit favorable à cette idée. Un tel projet n’a jamais été réellement débattu et aujourd’hui encore personne ne veut imposer aux propriétaires un cout financier dû à l’achat de ces équipements.


Au Saguenay, par exemple, sur les dix lieux de consommation d’alcool les plus connus, seulement la Voie Maltée dispose d’un dispositif de test d’alcoolémie. Trois autres auraient déjà utilisé ce genre d’appareil dans le passé, sans grand succès. Pour le reste des établissements, il est impossible de connaitre son taux d’alcool en sortie de soirée. Cependant, tous affirment orienter les clients ayant trop bu vers des associations de raccompagnement telles qu’Opération Nez rouge ou Tolérance Zéro.


Du côté de Marianne Dessureault, ces mesures, bien qu’en vigueur dans d’autres pays, ne sont pas des solutions miracles. « Ça peut donner un faux sentiment de sécurité parce qu’il faudrait s’assurer de la bonne calibration, qu’ils soient justes, exacts. Surtout, ça peut donner un faux sentiment de sécurité », estime la juriste.

Se relever et se battre

Pour la famille de Jessica, l’adoption du seuil à 0,05 % n’est pas seulement une mesure préventive, c’est un combat en mémoire de leur fille. « Si la mesure était passée, est-ce que Jessica serait encore en vie ? On s’est dit que Jessica se serait battue pour nous. Elle aurait bougé des montagnes. »

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