La décroissance dans tous ses états
Le point fort de la décroissance est de révéler les maux de notre société, au niveau économique, social et environnemental. Bien qu’elle soit possible à réaliser en région, la décroissance comprend quelques points faibles. La distance, la place des femmes et les mentalités sont des obstacles à sa réalisation. Avant tout, ce sont ses applications qui ont du mal à séduire nos sociétés et qui ne les séduiront peut-être jamais.
Plusieurs courants de pensées décroissantes existent et s’entrechoquent. Pour le professeur adjoint au département d’innovation sociale à l’Université Saint-Paul d’Ottawa, Jonathan Durand-Folco, un débat politique sur la décroissance a lieu en ce moment. «Il n’y a pas de consensus pour savoir ce qu’on doit faire pour sortir de la croissance. Même chez les penseurs les plus critiques et radicaux, il n’y a pas de propositions claires vers où on se dirige pour sortir de ça [la croissance] en tant que société.»
Relations à distance
Dans les régions, les distances sont grandes. C’est le principal obstacle de la décroissance. L’automobile est la principale manière de se déplacer. Le député du Parti québécois dans Jonquière Sylvain Gaudreault explique que des politiques favorisant le transport actif, comme la marche et le vélo, doivent être mises en place pour faciliter la transition. Le déneigement des routes est prioritaire dans les régions, par rapport aux trottoirs et pistes cyclables. À Montréal, les pistes cyclables sont déneigées même en hiver. En plus du transport actif, le transport collectif doit être adapté aux grands espaces des régions. «C’est un cercle dans lequel il faut devenir vertueux. Plus on utilise les transports collectifs, plus il va y avoir une offre. Présentement, les gens disent qu’il n’y a pas d’autobus à grande fréquence donc ils ne les utilisent pas. Il faut l’utiliser pour qu’il y en ait», affirme Sylvain Gaudreault. Le dernier budget du Québec donne au transport collectif 1 milliard de dollars, toutefois les investissements dans le réseau routier restent le double de ceux consacrés au transport collectif, avec 2,2 milliards de dollars.
Repenser local
Il serait plus facile de créer une économie circulaire en raison de l’éloignement des grands centres et de la présence de nombreux agriculteurs. Les avantages sont l’autosuffisance des régions et la réduction des émissions de gaz à effets de serres lors du transport des aliments. «Le gouvernement doit revoir ses politiques d’approvisionnement. Les appels d’offres du gouvernement du Québec suivent la règle du plus bas soumissionnaire. Ça fait en sorte que, par exemple, l’hôpital de Jonquière doit s’approvisionner en lait avec un producteur extérieur alors que nous avons des producteurs autour», critique le député du Parti québécois de Jonquière, Sylvain Gaudreault.
Difficile pour le cerveau humain
Cette difficulté de changer son mode de vie, comme de passer du transport individuel au transport collectif, démontre que l’humain exprime des réticences face aux changements. Lorsque vous demandez à un être humain de changer pour une société meilleure, il dira oui, mais pas au détriment de sa situation et de son confort. C’est ce qu’ont démontré de nombreuses études (Stoll-Kleemann, 2000; Sandvik, 2008). La journaliste Catherine Dubé, qui a réalisé le documentaire «Prêts pour la décroissance ?», explique que la décroissance radicale est probablement utopique, mais que le mode de vie actuel est aussi une utopie. Dans son documentaire, elle a été surprise par les réactions réfractaires sur ce concept. «Énormément de personnes sont fermées à cette idée-là, les gens pensent que la croissance va les mener vers des solutions, c’est très présent dans le discours public.»
Moins de biens, plus de liens
Pratiquer la décroissance demande des temps libres : des moments pour entretenir le jardin, pour réparer nos objets et pour pratiquer le transport actif. Avec des semaines de quarante heures, peu de gens ont ce temps de disponible. C’est pourquoi la décroissance propose de diminuer les heures de travail au profit d’heures consacrées à décroître. Cependant, la diminution des heures de travail cause la diminution du revenu. Peu de gens se disent prêts à avoir moins d’argent, donc à posséder moins de biens. «Quand tu as plus de temps, tu as moins d’argent, mais tu n’es pas moins riche. Ce temps-là, tu en fais d’autres choses, tu crées une autre richesse que l’argent. Une richesse culturelle, sociale ou artistique par exemple», philosophe la députée de Québec Solidaire dans Taschereau, Catherine Dorion.
La place des femmes
Leur place est beaucoup remise en question par les penseurs de la décroissance. Si la décroissance prône une rationalisation des besoins et à un mode de vie plus traditionnel avec moins d’heures de travail et plus de temps passer avec la famille, plusieurs femmes craignent de retrouver leur statut de mère de famille traditionnel. «Il ne faut pas qu’une société décroissante oublie la place des femmes et nous fasse revenir en arrière», explique le professeur Jonathan Durand-Folco. À partir de cette critique, des théories féministes de la décroissance commencent à apparaitre pour favoriser une bonne distribution des tâches dans les familles. Les rapports hommes-femmes ne doivent pas être oubliés lors de la transition soutient M. Durand-Folco.