« Vous êtes daltonien » : quand un monde sans couleur détruit des rêves

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Alors qu’il avait tout pour réussir son rêve, Victor Béland a dû y renoncer à cause de son daltonisme. (Photo : Esther Dabert)

Victor Béland est ce que l’on pourrait appeler un travailleur. Pour atteindre son objectif de carrière, le pilotage, l’étudiant ne compte plus ses heures. Mais malgré l’acharnement dont il fait preuve, il y a une chose contre laquelle Victor ne peut pas lutter : son daltonisme.

Quand Victor Béland parle de son daltonisme, son « anomalie » comme il l’appelle, c’est toujours par le prisme de la science. « J’ai un spectre réduit. Mes cônes reçoivent moins de couleurs », explique-t-il avec le pragmatisme qui est le sien. Rien de très étonnant quand on sait à quel point Victor est passionné par la physique et les mathématiques. Il a d’ailleurs choisi d’en faire l’objet de ses études en sciences de la nature au Cégep de Jonquière. Parce que depuis son plus jeune âge, Victor a un rêve : devenir pilote. Un projet de carrière auquel il croyait fermement, jusqu’à ce jour qu’il n’oubliera jamais. « J’avais environ neuf ans et je discutais avec la professeure d’auto-maîtrise. Je lui ai dit que je voulais faire pilote d’avion mais elle m’a regardé et je me rappelle encore de son regard. Elle m’a dit : “Ah non ce ne sera pas possible”. »

Depuis la maternelle

« La dyschromatopsie, aussi appelée daltonisme, peut être détectée dès que les enfants sont capables de pointer ou de nommer les couleurs, généralement vers l’âge de 4-5 ans », indique l’ophtalmologiste général Anthony Tremblay. Dans le cas de Victor on est assez proche de ce constat. « J’avais de la misère à différencier les couleurs en maternelle donc ma professeure a dit qu’on devrait aller faire un test. » Mais même si Victor affirme qu’être daltonien n’est pas vraiment invalidant, la forme qui est la sienne, la protanopie, est un handicap quotidien pour le jeune homme qui doit s’efforcer de vivre dans un monde adapté aux visions standards. En effet, ce sont les couleurs rouge et vert qui donnent du fil à retordre à l’étudiant en raison de leur similarité à ses yeux. Pas facile donc, quand il s’agit simplement de prendre la voiture. « Quand je conduis, il faut que je sois beaucoup plus attentif pour voir si les symboles changent. »

Plus jeune déjà, Victor subissait des brimades de ses camarades. « Je m’habillais n’importe comment. Je mettais des couleurs qui n’allaient pas du tout ensemble et je savais qu’on riait de moi. C’était une grosse partie de mon handicap parce que tout le monde disait : “Il sait pas s’habiller”. » Aujourd’hui, Victor ne porte plus que du blanc, du gris ou du noir. « Je joue au soccer et une fois, on était en vert et on jouait contre des rouges et j’ai fait plusieurs fois des passes à l’autre équipe. » Même lorsqu’il souhaite simplement se promener dans la nature, il rencontre toujours un élément le ramenant à sa réalité. « Impossible pour moi d’aller cueillir des fruits rouges dans les champs. »

Dans les champs, fruits rouges et feuilles se confondent pour Victor Béland. (Photo : Olivier Bonjour)

Un sentiment d’injustice

Victor Béland n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort. S’il raconte toutes ces anecdotes de parcours, c’est toujours avec un large sourire, comme pour rire de cette réalité contre laquelle, pour une fois, Victor se retrouve impuissant. Malgré tout, il existe bien un sujet qui fait disparaître le sourire de cet optimiste de nature. « Piloter une fusée, c’était ça mon rêve. Quand je regarde, je me dis que c’est quand même dommage. J’ai les notes pour, j’ai la détermination pour, j’ai la condition physique pour, et je vais arriver là, et la seule chose qui va faire en sorte que je ne pourrai pas le faire, c’est un test qui va demander “êtes-vous daltonien ?” et auquel je vais répondre “oui”. » Plusieurs établissements comme le Centre québécois de formation aéronautique de Chicoutimi, déclarent accepter les personnes atteintes de daltonisme si celles-ci parviennent à justifier d’un certain niveau de vision en fonction d’un test prédéfini. 

Mais ne vous y trompez pas, si c’est avec un rire jaune perceptible que Victor s’exclame : « Quand on croit on peut ! », il n’en est pas moins déterminé à prendre sa revanche sur la vie. Aussi, tel l’inébranlable qu’il est, l’étudiant compte bien réussir dans la voie de ses rêves, quitte à emprunter des chemins parallèles. « C’est mon type de mental. Je suis très compétitif avec moi-même et avec les autres et j’ai envie de me dépasser, donc je me dis : Ah oui ? Je n’ai pas le droit de faire ça ? Ok, je vais le faire. » De pilote d’avion, le rêve de Victor s’est finalement transformé en membre de l’équipage d’une fusée. Alors, même s’il ne pourra pas prendre les commandes, ce passionné d’étoiles très terre-à-terre pourra enfin la quitter.

Une piste de solution ?

Depuis 2010, une solution existe pour les personnes, comme Victor, qui sont atteintes de daltonisme : les lunettes de EnChroma. Cette entreprise américaine a mis au point une monture permettant aux daltoniens de voir l’entièreté des couleurs. Mais même si, selon le docteur Anthony Tremblay, il existe trois formes de daltonisme, différenciées par les couleurs impactées, seulement une d’entre elles est concernée par les lunettes, le daltonisme rouge-vert, représentant 98 % des personnes daltoniennes. « Les réactions sont merveilleuses et appréciées. Pour certains, elles peuvent changer une vie, leur permettant de profiter de nouvelles expériences colorées ou de surpasser des obstacles », explique le vice président des communications et des partenariats de EnChroma, Kent Streeb.

Pourtant, du côté de Victor, il n’est pas envisageable d’avoir recours à ces lunettes. « J’ai peur de les essayer et de me dire que c’est vraiment mieux cette réalité et de ne plus pouvoir les enlever. Ou alors quand je le fais, de me dire que ce que je vois au quotidien est juste terne, raconte le jeune homme. J’ai peur que ça m’affecte. » Mais comme Victor ne serait pas Victor sans son pragmatisme habituel, c’est avec une certaine forme de résignation qu’il affirme : « si c’est nécessaire pour le travail, alors je les mettrai. » Pour l’heure, l’étudiant préfère profiter de sa réalité, sans jalouser celle des autres.

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