Tarifs douaniers : l’aluminium vert progressera tout de même

Vendredi dernier à la Saint-Valentin, la mairesse de Saguenay, Julie Dufour et le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Énergie, François-Philippe Champagne ont répondu aux questions des médias en matière d’aluminium à l’hôtel de ville de Saguenay. (Photo : Étienne Meunier)
Des tarifs supplémentaires seront ajoutés à l’aluminium canadien exporté aux États-Unis, menaçant le développement de cette industrie. L’aluminium, vu comme la pierre angulaire de la décarbonisation de l’économie québécoise, continuera-t-il sur cette lancée écologique malgré ces défis ?
Dès le 12 mars, les tarifs ciblant l’aluminium s’additionneront à ceux touchant l’entièreté des importations canadiennes. En somme, le prix de ce métal canadien augmentera de 50 % aux États-Unis.
« L’enjeu du siècle restera les changements climatiques, et ce peu importe qui sera à la Maison-Blanche. […] On est tous conscients qu’on doit décarboner l’économie », a assuré François-Philippe Champagne. En visite à Saguenay, le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie du Canada s’est dit « rassuré » de ses visites chez les producteurs régionaux. « La direction de Rio Tinto m’a confirmé que le plan d’investissement continue, on parle d’environ 2 milliards au cours des cinq prochaines années, dans différents projets, évidemment AP60 et Elysis ». Depuis 2018, la sous-entreprise de Rio Tinto, Elysis, cherche à développer un processus de fabrication d’aluminium qui n’émet aucun gaz à effet de serre (GES).
Une embûche sur le chemin
Le ministre Champagne affirme tout de même qu’il y a des possibilités de ralentissements dans le développement de l’industrie de l’aluminium, mais selon lui, ils ne seront que temporaires. « Il est important de se positionner dans l’aluminium vert pour être prêt, parce que je pense que ça va continuer. Ça va peut-être ralentir momentanément, mais ça va certainement continuer, on est sur la bonne voie. » Pour soutenir sa confiance dans le domaine, le ministre a évoqué les succès financiers de l’entreprise milliardaire Tesla, menée par le controversé Elon Musk, établissant la corrélation entre l’industrie des voitures électriques et de l’aluminium.

Selon l’Office québécois de la langue française, les termes décarboner et décarboniser sont tous les deux privilégiés pour définir ce qui limite les émissions de dioxyde de carbone (CO2). (photo: flickr)
Les répercussions davantage aux États-Unis

François Racine est le président-directeur général d’AluQuébec qui fédère les entreprises québécoises dans le milieu de l’aluminium et qui suggère le gouvernement provincial dans le domaine. (Photo : site AluQuébec)
Étant donné le maintien des investissements des gouvernements et des entreprises basées au Canada, l’aluminium canadien conservera son empreinte environnementale moindre. Ses effets positifs de décarbonisation auront seulement un coût plus élevé pour les États-Unis, ou encore ils bénéficieront à d’autres acheteurs, selon le président-directeur général d’AluQuébec, François Racine.
AluQuébec est un organisme qui fédère l’ensemble des acteurs de l’aluminium québécois.
« Les Américains décarbonaient sans le savoir, a lancé M. Racine. Puisqu’ils utilisaient l’aluminium canadien produit avec de l’énergie renouvelable. S’ils se tournent ailleurs pour s’approvisionner, alors là, ils auront de l’aluminium à plus grande empreinte, mais ces changements de fournisseurs ne se font pas rapidement. »
« À court et moyen terme, les Américains vont pouvoir difficilement changer. » D’après M. Racine, ce sont plusieurs mois voire une année d’ajustements et d’essais avant de changer de fournisseur d’aluminium. « Les fabricants sont à peu près tous convaincus que ce genre de tarifications va s’amoindrir, sinon disparaître, parce que ça va leur nuire. »
M. Racine et le ministre Champagne s’entendent pour dire que la cessation des tarifs sera initiée par les fabricants américains. « Le PDG de Ford, quand même, s’exprime en disant que les tarifs vont amener du chaos et des coûts », a soutenu M. Champagne.
L’ACV de l’aluminium
L’analyse du cycle de vie (ACV) est un outil qui permet d’évaluer notamment l’empreinte environnementale d’un produit ou d’un service dans toutes les étapes de son cheminement.
L’ACV de l’aluminium révèle un métal des moins polluants sur le marché, et selon François Racine, c’est grâce à sa capacité à être recyclé. « C’est une méthode [le recyclage] qui est super efficace et qui émet le moins d’émissions de GES. […] En plus, il y a des avantages économiques à acheter de l’aluminium recyclé ». Le hic est que l’aluminium n’est pas recyclé au Canada, puisqu’il n’y a aucun centre de refonte, les rebuts du métal sont envoyés aux États-Unis. Il explique que le manque d’installations au Québec est causé par le manque de volume d’aluminium à recycler. Les centres de refonte, pour avoir des coûts concurrentiels, ont des cuves au volume très élevé, que la consommation québécoise ne peut combler.
Ainsi, d’après le président-directeur général d’AluQuébec, le risque est que les Américains aillent à l’encontre de la tendance mondiale de recycler. « L’enjeu c’est que l’administration actuelle fait tout pour défaire ce qui a été mis en place pour améliorer le bilan environnemental ».
M. Racine a souligné que Rio Tinto travaille à mettre en place un centre de refonte à Arvida, ce qui aiderait à réduire cette dépendance envers le voisin du sud.
« Une spirale d’augmentation des prix »
Pour le président-directeur général d’AluQuébec, l’imposition de contre-tarifs abordée par le premier ministre, François Legault, est une mauvaise idée. M. Racine explique que l’aluminium vendu aux États-Unis revient sous une autre forme et que les consommateurs québécois finiront par payer ces contre-tarifs. Il s’agit d’une « spirale d’augmentation des prix ». Parmi ces produits qui reviennent au Québec, plusieurs sont issus de refontes des centres de recyclage de l’aluminium, ce qui hausserait le prix de cette pratique écologique. « Je pense que c’est beaucoup mieux d’avoir des mesures tarifaires sur des produits américains qui sont finis, pas sur de la matière première », a-t-il résumé.