Le métier d’influenceur sans filtre
Stories, publications, directs… Les influenceurs consacrent la majorité de leur temps sur les réseaux sociaux, que ce soit en documentant leur quotidien, en partageant des conseils ou en mettant de l’avant différents produits. Parsemé de mentions « j’aime » et de commentaires positifs ou haineux, ce métier peut faire naître une forme de dépendance chez ces derniers et leurs abonnés. S’ajoute à cela une importante charge psychologique. Même s’il peut parfois paraître parfait sur un écran, le domaine du marketing d’influence l’est-il vraiment?
Maxime Fortin cumule à ce jour près de 44 000 abonnés sur YouTube et 4 500 suiveurs sur Instagram. Depuis quelques années, elle se considère comme une influenceuse, tout en étudiant à temps plein à l’université. Son quotidien est chargé : préparation de vidéos, prise de photos et créations de stories et de publications pour des collaborations. Elle a toujours son ordinateur et son cellulaire à portée de main. « Je passe une très grosse partie de ma journée sur ces appareils. Ce n’est pas très bon pour moi. Je pense que je peux considérer que j’en suis dépendante malheureusement », confie Maxime Fortin.
La cyberdépendance est une addiction dite comportementale caractérisée par l’incapacité de contrôler le temps alloué à des activités reliées à Internet.
« Les grands cyberdépendants peuvent passer jusqu’à 55 heures par semaine sur les réseaux sociaux », explique la coordonnatrice en cyberdépendance au Havre du Fjord, Lyne Gagnon. Selon elle, cette forme de dépendance est moins pointée du doigt par la société qu’une addiction aux drogues ou à l’alcool parce que les réseaux sociaux font partie intégrante du quotidien de plusieurs.
Si les influenceurs peuvent développer une forme de cyberdépendance en pratiquant leur métier, les suiveurs ne sont pas pour autant à l’abri. La créatrice de contenu Maxime Fortin est d’avis que cette dépendance peut être créée chez une personne qui suit assidûment un influenceur. « C’est très facile pour une personne de s’embarquer là-dedans sans même s’en rendre compte et de scroller des heures et des heures parce qu’Instagram est rempli de contenus variés. »
Selon Lyne Gagnon, les influenceurs ne sont qu’un des éléments qui causent cette dépendance. « Les followers ne veulent rien manquer, ça peut alors entretenir une certaine forme de dépendance, mais de dire que c’est l’influenceur à lui seul qui est responsable de tout ça, c’est faux. C’est propre à chaque personne », ajoute-t-elle.
D’après la coordonnatrice en cyberdépendance, se questionner sur sa propre utilisation des réseaux sociaux serait la clé d’une relation plus saine avec le Web. « Pour quelles raisons une personne décide de suivre un influenceur ? Qu’est-ce qui la motive ? Il faut se mettre des limites et trouver un équilibre », précise Mme Gagnon.
Saviez-vous que…?
Lorsqu’un influenceur publie du contenu sur les réseaux sociaux qui suscite des réactions telles que des mentions « j’aime » et des commentaires, la dopamine est libérée dans son cerveau. Ce neurotransmetteur provoque entre autres une sensation de plaisir qui active directement le mécanisme de récompense. « Les influenceurs vont sans cesse vouloir aller chercher cette sensation de plaisir, ce qui peut causer la cyberdépendance », soutient la professeure en marketing à l’Université du Québec à Chicoutimi, Myriam Ertz.
Haine et estime de soi
Qui dit commentaires positifs, dit aussi commentaires haineux. Puisqu’ils s’exposent quotidiennement sur les réseaux sociaux, les influenceurs reçoivent une quantité importante de critiques. La professeure en psychologie au Cégep de Jonquière, Mercedes Aubin, affirme que les commentaires sont souvent très durs à l’endroit des figures publiques. « Ils ne sont pas toujours faits avec tact. C’est difficile de recevoir autant de commentaires négatifs pour l’estime de soi .»
Depuis le début de la pandémie, les commentaires haineux ont déferlé sur le Web. Entre octobre et décembre 2020, Facebook a révélé avoir modéré près de 27 millions de contenus haineux, dans son rapport trimestriel de transparence sur la modération publié en février. Il s’agit d’une augmentation d’environ 5 millions de contenus par rapport au trimestre précédent. Sur Instagram, le nombre de contenus haineux modérés s’élève à 6,6 millions. Parmi ces données, 5 millions étaient pour harcèlement et intimidation.
« C’est sûr que quand j’ai commencé à avoir des commentaires négatifs, ça me trottait dans la tête pendant quelques heures, mais j’ai appris à me dissocier de ça. Il ne faut pas se laisser affecter. Je me dis que les gens qui émettent ces commentaires, c’est leur façon de se défouler. Ce n’est pas personnel et contre moi parce qu’ils ne me connaissent pas », justifie la créatrice de contenu, Maxime Fortin.
Selon Mercedes Aubin, les influenceurs ressentent le besoin de projeter une image parfaite d’eux-mêmes, ce qui peut, par la suite, affecter leur confiance personnelle. Ils vont notamment prendre plusieurs photos avant de trouver celle qui les met le plus en valeur. « Le fait d’être coincé à projeter la perfection en tout temps, c’est difficile parce que c’est d’avoir un certain idéal irréaliste. Ça peut entraîner beaucoup de détresse et de pression. Je ne suis pas si certaine que les objectifs que les influenceurs se donnent soient toujours réalistes et rationnels. »
Toutefois, l’estime de soi des influenceurs n’est pas la seule à être touchée. Celle du suiveur est également fragilisée par la comparaison malsaine qui est faite avec l’influenceur. « Généralement, l’humain a comme réflexe de se comparer aux autres. Lorsqu’on se compare à des influenceurs qui ne sont pas tout à fait dans le réel, qui sont plutôt dans le retouché, est-ce qu’on se compare vraiment à quelque chose qui est réaliste? Ça peut être dur pour la confiance en soi », soutient la professeure en psychologie.
Afin de réduire les impacts qu’a le marketing d’influence sur la population, la solution demeure, selon Lyne Gagnon, coordonnatrice en cyberdépendance, l’éducation à la publicité. « Il faut faire prendre conscience que le marketing, c’est du rêve. » Elle soutient également que les influenceurs peuvent être, à l’inverse, extrêmement positifs pour les jeunes, mais qu’il suffit de choisir ceux qui leur ressemblent et qui les inspirent. Maintenant, saurez-vous faire le bon choix ?