L’enfer de la rue

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La Nuit des Sans-abris a permis la réunion des itinérants avec le reste de la société. Souvent oubliés et ignorés de la société, les personnes dans cette situation ont beaucoup de mal à s’en sortir. C’est le cas de Lucie* qui a vécu l’enfer, sans jamais en avoir parlé à personne avant cette nuit. Pour la première fois, elle crie ce qu’elle avait sur le cœur alors que le reste de la société l’avait oubliée. 

Mise en scène pour la nuit sans-abri.

Mise en scène pour la Nuit Sans-Abris.

La Nuit des Sans-Abris, organisée pour la 17e fois vendredi 22 octobre à Chicoutimi, a permis à de nombreuses personnes d’ouvrir leur cœur, parfois pour la première fois. C’est le cas de Jucie, itinérante dans sa jeunesse, qui a dû se battre pour réussir à s’en sortir. 

Le visage serré, elle s’éloigne des stands mis en place par l’organisation pour raconter son histoire. « J’ai honte d’en parler. Je n’ai pas envie que ma famille le sache. Ils pensent que je suis heureuse et que je l’ai toujours été mais c’est faux. Je ne souhaite ça à personne ». 

Jucie a grandi dans une famille modeste, elle était plutôt bonne à l’école et avait des parents qu’elle décrit comme « tout ce qu’il y a de plus normaux, même si je manquais un peu d’affection ». 

« C’est peut-être ça qui m’a conduit à faire l’erreur de ma vie. » Elle a rencontré un homme dont elle est tombée amoureuse et est partie vivre avec lui dans l’arrondissement de Verdun à Montréal. « Mais ce n’était pas une bonne personne. » 

Il l’a faite plonger dans la cocaïne. « Alors que je n’avais jamais touché à la drogue avant lui, jamais ! Mais j’étais influençable, je voulais qu’il m’aime. Et une fois qu’on a commencé, on ne pense plus qu’à ça, impossible de s’en détacher. » 

Entre eux, la situation se dégrade rapidement. Il souhaite qu’elle se prostitue pour rapporter de l’argent et acheter de la drogue, mais Lucie refuse. Son petit-ami de l’époque entre alors dans une colère noire et décide de la jeter par la fenêtre du deuxième étage. Elle a survécu mais porte encore les cicatrices de l’évènement, qu’elle montre sur ses avant-bras. 

Après cette soirée, il a pris tout ce qu’elle possédait, meubles et argent, et l’a laissée à la rue. « A ce moment-là, je ne pensais plus à rien. Je survivais. Je buvais beaucoup de bière, ça permet d’oublier, je ne voulais pas me souvenir, je n’avais plus personne, je ne possédais plus rien et j’étais complètement accro. » 

Les larmes commencent à couler lorsqu’elle évoque son pire souvenir de cette période de sa vie. « J’avais des enfants, on me les a pris. C’était très dur de les perdre, j’ai beaucoup souffert. Je ne les ai pas vus pendant dix ans et ça me rongeait. » 

Pour la première fois de sa vie, Lucie raconte l’horreur de son quotidien dans la rue. « Beaucoup nous jugent. Mais ils ne savent pas ce que c’est. Il faut le vivre. Tu n’es plus rien. Tu te lèves, tu bois, tu te drogues. T’as plus d’âme. Tu n’es plus rien pour personne. J’ai vécu l’enfer. J’étais seule au monde, plus rien pour personne. Je ne souhaiterais pas ça a mon pire ennemi. » 

Le pire, c’est l’insécurité. « Il y a les agressions, les vols, et le froid. Y a rien de drôle quand on se gèle dehors. Par moins 30, on gèle comme des croutons. Et on nous retrouve devant les porches des appartements. Il va en mourir encore, ça augmente, mais on n’est plus rien pour personne. » 

Un jour, sa fille l’a rencontrée alors qu’elle avait 14 ans. Elle l’a accompagnée jusqu’à La Baie avant de la laisser là-bas. « Je n’ai jamais bougé d’ici. » Après de nombreuses thérapies et des centres de désintoxication, elle a réussi à s’en sortir, « mais il faut que ça vienne de soi-même ». 

S’adressant à tous ceux vivant la même situation qu’elle il y a vingt ans, elle déclare, « ça me fait pitié. C’est très difficile. Mais il faut demander de l’aide. Y a rien d’honteux ou de gênant à ça. Il faut s’en sortir et faire un fuck à la coke et à toute cette merde. Ça prend du temps, c’est dur, mais il faut s’en sortir ». 

Aujourd’hui, les liens avec sa famille ont été rétablis. Elle les voit régulièrement et, depuis deux mois, elle est devenue grand-mère. Elle sort avec une nouvelle personne depuis 22 ans et n’est jamais retournée à Montréal. « Je suis heureuse aujourd’hui. Tout le monde peut être heureux. Mais cette situation, c’est loin d’être drôle. Il ne faut pas juger les sans-abris. Cette situation peut arriver à tous, à moi comme au reste du monde. » 

*Prénom modifié 

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Photo Amandine Rossato