S’intégrer au Saguenay par la francisation 

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Nataliia Maik (première à gauche), Olena Doumi (deuxième à gauche) et Sacha Pavlenko (à droite) sont étudiants dans la classe de Mme Marie-Claude Imbeault (au centre). (Photo: Evelyne Alix-Fontaine)

 

REPORTAGE – Dans la classe de francisation niveau trois au Centre de formation générale des adultes des Rives-du-Saguenay, sur 12 élèves, cinq sont originaires de l’Ukraine. En ce lundi matin, ils ne sont que trois. Nataliia Maik, Sacha Pavlenko et Olena Doumi n’ont pas tous le même parcours, mais les trois partagent l’Ukrainien comme langue maternelle et souhaitent faire du français leur langue d’adoption.

Forcés de quitter leur pays en raison de la guerre, plusieurs Ukrainiens ont trouvé refuge au Saguenay. Ces nouveaux arrivants s’intègrent au Saguenay, un cours de francisation à la fois.

Rester au Saguenay pour l’école

Nataliia Maik s’applique à traduire en français ce qu’elle a fait en fin de semaine pour participer à la causerie. (Photo: Evelyne Alix-Fontaine)

Assise au milieu de la classe, dictionnaire russe/français sur le coin de son bureau, grammaire ouverte, Nataliia traduit ce qu’elle a fait la fin de semaine dernière.

-J’ai fait une manucure à moi, raconte-t-elle en roulant ses « r ».

-C’est un verbe pronominal donc on va dire « je me suis fait une manucure », lui explique son enseignante en francisation, Marie-Claude Imbeault.

Nataliia Maik a immigré au Canada deux mois avant le début de la guerre en Ukraine.  Elle a quitté son pays d’origine pour venir vivre avec son ex-mari qui est originaire de La Baie. Elle ne se doutait pas que c’était la dernière fois qu’elle verrait son pays comme elle l’a connu.

Après l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février dernier, elle a réussi à faire venir sa mère au Saguenay. Elle aussi suit des cours de francisation, mais dans un autre pavillon de l’institution d’enseignement. Depuis mars dernier, le gouvernement du Canada a enregistré plus de 702 000 demandes de résidence temporaire. Sur les 425 196 Ukrainiens qui ont reçu un visa, seulement le tiers sont arrivés au pays, selon les données de l’Agence des services frontaliers du Canada.

« Je reste ici, au Saguenay, même si je me suis séparée parce que j’ai commencé les cours de français en février et j’aime trop cette école. Je ne veux pas changer d’école. Peut-être que je vais changer de ville dans le futur pour me trouver un emploi, mais pas maintenant. Je dois aussi attendre la légalisation de mes diplômes », explique Nataliia*.

Ce qui frappe l’enseignante de la classe, Marie-Claude Imbeault, c’est la volonté de ses élèves de ne pas juste s’intégrer, mais aussi d’exceller.

« C’est une clientèle vraiment attachante. On sent qu’on est capable de faire une différence.  On voit que les élèves veulent apprendre le français. Ils veulent s’intégrer à la société québécoise. Ils veulent partager leur culture à eux aussi », explique-t-elle.

La tête à l’école et le cœur en Ukraine

Derrière Nataliia, Sacha Pavlenko traduit dans son cahier ce qu’il a fait lui aussi en fin de semaine. Après avoir participé à la causerie, il envoie en photo son cahier et le tableau de la classe à sa femme Yulia, elle aussi étudiante dans ce groupe. Elle est restée dans leur maison d’accueil avec leur plus jeune fille qui est fiévreuse.

Sacha et Yulia sont arrivés en avril dernier avec leur famille à Saguenay. Ils ont été accueillis par une famille de Chicoutimi qu’ils ont connu grâce à un groupe Facebook de soutien aux réfugiés ukrainiens.

Pendant que leur fille de cinq ans va à la maternelle et celle de deux ans à la garderie, les deux parents apprennent le français, toute la journée, 30 heures par semaine.

« Au début c’était difficile, mais maintenant c’est correct. C’est normal. Les gens qui nous ont accueillis, mais aussi tout le monde, nous ont appuyés », raconte Sasha*, aidé par ses collègues ukrainiennes.

Sasha garde son téléphone toujours à portée de mains pour rester en contact avec sa femme, mais aussi pour regarder les nouvelles en Ukraine. Son fils de 17 ans, issu d’une autre union, est resté en là-bas pour s’occuper de son grand-père paternel.

« Ils vont peut-être venir nous rejoindre ici, dans le futur, mais je ne sais pas », explique-t-il.

L’histoire de ses élèves, Marie-Claude Imbeault la connaît et elle reste très sensible à celle-ci. « Il y a certains sujets auxquels on fait attention. Ça, c’est un choix d’enseignant. Il y a des thèmes qui sont plus difficiles à aborder. »

Une nouvelle vie influencée par la francisation

Au-devant de la classe, Olena Doumi discute à voix basse avec sa voisine de bureau, Malini, une Canadienne anglophone. Malgré la barrière de langue, les deux femmes sont devenues de très bonnes amies et elles s’entraident.

Olena a quitté l’Ukraine avec son mari en mai dernier. Ils ont choisi le Saguenay parce que son mari, qui est d’origine marocaine, parle le français et il s’est déjà trouvé un emploi. L’Ukrainienne est tombée sous le charme du Saguenay–Lac-Saint-Jean et ne pense pas quitter de sitôt.

« J’aime cette région, car ce n’est pas grand. Quand on est arrivé à Montréal, c’était très grand. C’est moins difficile ici. C’est une très belle place pour commencer une nouvelle vie et avoir une famille », raconte-t-elle*.

Ce nouveau départ à Saguenay lui a aussi donné envie de retourner sur les bancs d’école pour apprendre un nouveau métier.

« Je veux aller faire une maîtrise. Je ne sais pas si je vais refaire mes études en économie. Je pense que je veux aller faire une maîtrise en francisation. Je vais terminer mon français ici en premier et après je déciderai le travail qui m’intéresse le plus », dit-elle* en riant.

Pendant le midi, les trois étudiants ukrainiens dînent avec leurs collègues de classe. Tous en français avec l’accent de leur pays d’origine, ils tissent des liens autour de leur nouvelle réalité.

« Au Saguenay, tu ne peux pas te débrouiller avec autre chose que le français. Avec l’anglais, tu peux te débrouiller à quelques endroits, mais il te faut vraiment ton français, contrairement à Montréal où tu vas être capable de t’arranger. Mais ici non », conclut leur enseignante.

*Les citations ont été librement adaptées.

Avec la collaboration d’Abraham Santerre.

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