Là où chantent les oiseaux

Simon Boivin est un ornithologue amateur. Il a parcouru l’Amérique du Nord à la recherche de diverses espèces d’oiseaux à observer. (Photo: Laurence Trahan)
Des bourdonnements de machinerie résonnent, des matériaux de construction sont jetés pêle-mêle sur des terrains de gravelle, une canette Busch écrasée jonche le sol : contre toute attente, le parc industriel de Saint-Bruno est un havre de paix pour plusieurs oiseaux.
Laurence Trahan
Lorsque les ouvriers désertent pour la fin de semaine, c’est le gazouillis des oiseaux qui s’impose. Parmi les industries se trouve la station d’épuration qui sert de refuge pour la faune aviaire.
Plusieurs industries avoisinent les quatre bassins d’épuration d’eau de Saint-Bruno. (Photo: Laurence Trahan)
Les effluves des eaux usées ne découragent pas Simon de s’y aventurer. L’ornithologue amateur longe la clôture de l’installation à pas de loup.
« Ici, il y a du kildir qui niche, il y a du col vert, des hirondelles », fait remarquer le passionné. Et la liste continue de s’allonger.
Au fil des années, Simon a aussi ajouté des nichoirs près des stations d’épuration de Métabetchouan–Lac-à-la-Croix et d’Hébertville-Station. (Photo: Laurence Trahan)
Si ce n’était pas de la volonté de Simon de préserver la faune, beaucoup moins d’oiseaux survoleraient les parages. Après avoir repéré des hirondelles dans les environs, il a décidé d’y installer des nichoirs. Lorsqu’il a entrepris cette initiative, quelques années auparavant, il n’aurait pas pu espérer la formation d’un habitat aussi prospère.
« On pourrait mettre un nichoir à hirondelle rustique. Ça serait bien dans le fond là-bas. » Simon n’a même pas fini sa ronde qu’il se penche déjà sur d’autres stratégies pour limiter le déclin des oiseaux.
Les populations d’hirondelles pourraient très bien être rayées de la carte, tout comme plusieurs autres espèces qui battent aussi de l’aile. La perte d’habitat, la disparition des insectes et les nouvelles pratiques agricoles leur sont fatales.
L’hirondelle rustique niche du mois de mai à juillet. (Photo : Simon Boivin)
Certains oiseaux font leur nid dans les petites cabanes que Simon a aménagées dans le grillage; d’autres font une escale dans ce tout-inclus lors de leur long voyage migratoire. « C’est facile pour eux. Ils ont un endroit où nicher, de la bouffe trois pieds à côté. Ils ont du matériel pour faire leur nid parce qu’il y a des plumes de canard. On facilite l’accès à un milieu parfait. »
Simon a d’abord installé 6 nichoirs, puis 3 de plus. Victime de son succès, il a même rajouté une cabane sur un poteau d’Hydro-Québec pour éviter les querelles de voisinage.
« Ça ne prend que quelques dollars à fabriquer », fait valoir l’ornithologue amateur. Pour très peu d’investissements, les retombées sont sans équivoque. « Si chaque hirondelle a 3-4 bébés […] ça veut dire que le site va avoir produit entre 30 à 40 jeunes »
« Quand j’ai mis mes nichoirs ici, Germain et Claudette, qui font de l’observation depuis les années 80, ont dit: “ On ne comprend pas qu’on n’y ait jamais pensé ”. »
Le vrombissement de l’usine d’épuration ne parvient pas à enterrer le chant des oiseaux. La nature reprend ses droits.
Cette solution a fait des petits. Son ami, l’ex-président du feu Club des ornithologues amateurs du Saguenay–Lac-Saint-Jean, Éric Wilmot, installe lui aussi des nichoirs.
L’embouchure du ruisseau Grandmont, Saint-Gédéon
Il y a d’abord eu le bruit des vagues du lac Saint-Jean, le froissement des pas, le pépiement des oiseaux et finalement une détonation. « Et une bernache en moins. » Eric Wilmot, n’est pas de ceux qui chassent la gent ailée avec un fusil, plutôt, il braque sa longue-vue vers le ciel. Il est aux premières loges du déclin de la faune aviaire.
Éric Wilmot a observé 365 espèces d’oiseaux au Québec. (Photo: Laurence Trahan)
Selon lui, la mise en place de nichoirs témoigne de la lourde tâche citoyenne de compenser pour l’inertie des gouvernements. Ceux qui sont soucieux de l’environnement sont souvent le seul rempart face à la crise de la biodiversité. « Des fois, ça ne prend pas grand-chose. Ça prend des efforts concertés, mais ça prend qu’il faut y penser. »
L’amoureux de la nature arrive difficilement à enfiler ses phrases parce qu’il s’arrête fréquemment pour nommer à haute voix chaque espèce qu’il voit ou entend. « C’est un grand pic qu’on vient d’entendre. » Comme plusieurs ornithologues amateurs, il recense toutes ces observations dans une base de données commune qui permet d’étudier les tendances lourdes.
Pour la toute première fois, aucun martinet ramoneur n’a été signalé cette année. Cela ne signifie pas que l’espèce a totalement disparu, mais aucun signalement n’a été fait par les observateurs en 2024. (Source : CornellLab)
« Le martinet ramoneur était observé par centaines dans la région il y a 30-40 ans. » Cette année, l’espèce n’a pas été aperçue dans les environs.
La clé du problème consiste à faire plus de sensibilisation, selon lui. « Les gens ne font pas ça pour mal faire, mais ils ne sont pas au courant. »
Par exemple, des oisillons sont victimes des nouvelles pratiques agricoles chaque été. La fauche se fait beaucoup plus tôt, ce qui ne laisse pas suffisamment de temps aux tout-petits pour atteindre la maturité. Si les plus vieux arrivent à échapper à la faucheuse, les oisillons, eux, ne parviennent pas à prendre leur envol. Ils périssent entre les lames bien affûtées des engins.
« J’ai un ami qui retarde maintenant ses récoltes pour donner une chance aux oisillons, mais il faut le savoir. »
Éric Wilmot est catégorique. Il croit qu’on néglige souvent les impacts négatifs qu’ont les activités humaines sur les écosystèmes. Mais, grâce à des initiatives comme celle de Simon, il est possible de préserver une fraction de la biodiversité, bien que l’ensemble ne puisse être entièrement sauvegardé.
Les petits ruisseaux font les grandes rivières.