Quand déradicalisation rime avec réconciliation

L’utilisation des réseaux sociaux est l’un des multiples facteurs qui poussent l’être humain à se radicaliser. Photo : Montage Félix-Antoine Bétil.
Dans cette ère postpandémique où les discours sont de plus en plus polarisés, les solutions pour apaiser le débat public semblent absentes. Pourtant, il existe une clinique de polarisation montréalaise permettant la déradicalisation.
Félix-Antoine Bétil
L’approche de la clinique, conçue par la docteure Cécile Rousseau de l’équipe Recherche et Action sur les Polarisations Sociales (RAPS), mise sur le traitement de la détresse vécue par certaines personnes radicalisées.
Le RAPS, où travaille le clinicien-chercheur Samuel Veissière, offre des soins, de la psychothérapie, de l’aide à la réinsertion sociale, ou encore de l’aide à la réinsertion professionnelle.
« On voit que quand les personnes ont une vie meilleure, qu’ils ont des amis, des partenaires amoureux, qu’ils arrivent à fonder une famille, leurs idées vont devenir plus nuancées », explique-t-il.
Le RAPS (Recherche et Action sur les Polarisations Sociales) formule des recommandations au ministère de l’Éducation afin de permettre aux élèves d’être plus ouverts à des idées différentes aux leurs. Photo : Capture d’écran, Site Web RAPS.
Le processus de déradicalisation d’un ex-masculiniste
C’est un peu de cette manière que le coach professionnel et tiktokeur Louis Racicot s’est déradicalisé, lui qui prônait un mode de vie masculiniste il y a quelques années.
« J’avais de la misère à démarrer des relations parce que je n’arrivais pas à me montrer vulnérable. J’étais trop dans l’égo. Je voulais paraître comme quelqu’un que je n’étais pas. Les personnes qui me connaissaient vraiment bien, elles, sont restées près de moi », raconte-t-il
« Il fallait que je me recueille vers moi, puis que je me dise : “Ok, mais qui je suis pour vrai? C’est quoi mon identité? Est-ce que je suis comme un extrémiste dans cette direction-là?” J’ai fait beaucoup d’introspection et une pause des réseaux sociaux », ajoute Louis Racicot.
Se déradicaliser, une question de temps
Le responsable de la recherche au Réseau des praticiens canadiens pour la prévention de l’extrémisme violent, Sébastien Brouillette-Alarie, indique que la déradicalisation se fait de façon plus lente que le contraire.
« Se déradicaliser ne se fait pas en quelques semaines, entendons-nous. [La radicalisation] affecte les gens avec qui on se tient, notre intégration sociale et nos liens avec notre famille. Ça affecte nos attitudes, nos idées », fait-il savoir.
Le témoignage de Louis Racicot le confirme : « C’est un processus qui s’est fait lentement. Ce n’est pas arrivé du jour au lendemain. Je n’avais aucunement d’énergie dans mes journées. Je procrastinais sur tout. J’ai fait une dépression aussi. »
Le tiktokeur québécois Louis Racicot, mieux connu sous le pseudonyme de coachracicot, compte près de 125 000 abonnés sur TikTok. Photo : Courtoisie Louis Racicot.
Sébastien Brouillette-Alarie, prédit d’ailleurs que « la déradicalisation va finir par être la norme parce qu’il y a une forme d’épuisement qui se crée à force d’être dans des groupes radicalisés ».
La vérité, rien que la vérité?
Dr Veissière avertit toutefois que confronter l’idéologie de gens radicalisés en les traitant, par exemple, de racistes ou encore de méchants, ne fait qu’empirer les choses.
Selon ce qu’il rapporte, on peut être en désaccord profond, mais les discussions doivent se faire sans jugement. « Il faut reconnaître que dans toute forme de complotisme, il y a quand même une part de vérité », mentionne-t-il.
Sébastien Brouillette-Alarie abonde dans le même sens. Il estime « qu’une personne aux idées [extrémistes] peut passer dix heures par jour à consulter du contenu là-dessus et à former un argumentaire, ce qui n’est pas le cas de tout le monde. Casser ses arguments devient donc difficile ».
Une lueur de lumière au bout du tunnel
Malgré le climat de polarisation actuel, les deux experts se veulent rassurants.
« Dans les moments où il y a des bouleversements profonds au niveau de la société, comme des pandémies ou des guerres, on remarque à chaque fois, historiquement, une montée de la radicalisation », souligne Samuel Veissière.
Le chercheur dit garder espoir dans la capacité de l’être humain à changer. À son avis, si quelqu’un se radicalise très rapidement, ce changement est fragile puisqu’il ne s’inscrit pas dans le cadre des valeurs avec lesquelles l’individu a grandi.