HPI : vraiment trop intelligent pour être heureux ?

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Environ 2,3 % de la population aurait un QI supérieur à 130. Photo : IA 

Depuis quelques années, le haut potentiel intellectuel (HPI) est devenu un véritable phénomène de société. La publication en 2008 du livre Trop intelligent pour être heureux ? de Jeanne Siaud-Facchin a largement contribué à populariser ce concept. Depuis, tests en ligne, groupes Facebook et ouvrages à succès se multiplient, et nombreux sont ceux qui se découvrent « surdoués », alimentant à la fois un marché lucratif et des stéréotypes persistants. 

Olivia KER  

Marie-Noëlle Lemay, 52 ans, a découvert son HPI presque par hasard. « Ça a commencé avec mes enfants, raconte-t-elle. Ils avaient des difficultés à l’école et dans leur intégration sociale. » Diagnostiqués avec un trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH), ses enfants ont également passé un test de QI pour exclure d’éventuels troubles cognitifs. « C’est ainsi qu’on a découvert qu’ils étaient HPI », explique-t-elle. 

En lisant sur le sujet, elle se reconnaît, passe les tests et sans surprise l’évaluation confirme un HPI.  

Non, ce n’est pas une pathologie 

Contrairement aux troubles neurodéveloppementaux tels que le TDAH ou le trouble du spectre de l’autisme (TSA), le HPI n’est pas une maladie, mais une identification basée sur des tests de QI. 

La neuropsychologue Éliane Chevrier abonde en ce sens : « Le terme HPI est relié au fonctionnement cognitif et intellectuel. On parle beaucoup de douance au Québec, un concept plus large qui englobe aussi la musique, l’art, la créativité, l’émotionnel et le social. » 

Généralement, une personne est identifiée comme HPI lorsque son QI est supérieur à 130. Au-delà de 145, on parle même de très haut potentiel intellectuel (THPI). Statistiquement, cela concernerait environ 2,3 % de la population. 

« Un QI plus élevé est statistiquement (légèrement) lié à moins de mortalité, plus de réussite professionnelle, une meilleure satisfaction au travail et des revenus plus élevés. Ces corrélations sont faibles, mais bien établies », souligne dans un entretien pour le journal français Le Point, le mathématicien, psychologue et chercheur en sciences cognitives, Nicolas Gauvrit.  

 Des neuromythes bien ancrés 

Hypersensibilité, profond sens de la justice, mal-être intérieur, anxiété, difficulté à socialiser, ennui… Autant de traits souvent associés aux HPI.  

« Beaucoup de gens peuvent s’identifier à ces neuromythes. Mais ce ne sont pas des signes typiques d’une personne HPI, précise Marie-Noëlle Lemay. Une personne ne se définit pas uniquement par son intelligence. D’autres facteurs tels que l’environnement, la personnalité et la génétique influencent aussi son bien-être et sa manière d’interagir avec le monde. » 

« Ce n’est pas parce que tu es intelligent que tu deviens Ghandi ou Mère Theresa» – Marie-Noëlle Lemay (au centre). Photo : Linkedin

Cela ne signifie pas pour autant que les HPI ne rencontrent jamais de difficultés. La neuropsychologue spécialisée dans l’accompagnement des enfants, Éliane Chevrier constate : « L’ennui ou la démotivation scolaire peuvent être envahissants et sources de souffrance. » Selon elle, le problème ne réside pas tant dans le haut potentiel de l’enfant, mais plutôt dans un mauvais ajustement avec son environnement scolaire et son rythme de fonctionnement. 

Et l’essor des réseaux sociaux a également favorisé l’autodiagnostic, un phénomène amplifié par l’effet Barnum : une tendance à croire qu’une description vague de la personnalité s’applique spécifiquement à soi. 

Or, cette identification hâtive peut occulter une réalité sous-jacente. « Si on associe une difficulté à une identification HPI biaisée, on risque de passer à côté du problème et d’un accompagnement adapté », explique Éliane Chevrier.  

« C’est problématique parce que ça devient une identité. Je suis HPI donc j’ai tels types de problèmes », complète Marie-Noëlle.  

Un marché lucratif  

Depuis quelques années, le HPI est devenu un sujet vendeur. Livres, formations, accompagnement personnalisé, tests en ligne… Nombreuses sont les initiatives naviguant sur cette tendance, parfois au détriment de la rigueur scientifique. 

« De bonne foi ou non, beaucoup se sont engouffrés dans ce business, par exemple en victimisant les surdoués (on attribue alors tous les problèmes de la personne à un QI trop élevé, ce qui est très valorisant) ou en identifiant tout patient solvable comme surdoué (si le QI est trop faible, on explique qu’il est sous-estimé à cause d’une anxiété qu’il faut traiter par des programmes onéreux réservés aux plus intelligents) », observait déjà en 2019 Nicolas Gauvrit.  

Conséquence : un surdiagnostic du HPI, notamment avec l’apparition de centres comme Cogito’z en France, fondés par Jeanne Siaud-Facchin. Le Québec n’est pas en reste, comme l’illustre la radiation temporaire par le conseil de discipline de l’Ordre des psychologues de Marianne Bélanger, figure médiatique du phénomène HPI pour avoir mal évalué le profil d’enfants. 

Jeanne Siaud-Facchin (à droite) et Marianne Bélanger (à gauche) sont très controversées dans leurs approches du HPI. Photo : Cogito’Z/ CIDDT

HPE : Un concept discutable

Parallèlement au HPI, une autre notion a émergé : le haut potentiel émotionnel (HPE). Si certains y voient une forme de sensibilité exacerbée, les experts restent prudents. 

« Je ne sais pas pourquoi ça a été élaboré, peut-être pour apaiser un questionnement ou un sentiment de malaise ou d’incompréhension, avance Éliane Chevrier. Tout n’est pas faux, la sensibilité émotionnelle peut être élevée, mais j’ai de la misère à voir le fondement de ce concept. »  

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