« On a avancé de dix ans plus vite que prévu »

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La fréquentation du palais de justice s’est retrouvée réduite au minimum. (Photo : Justin Escalier)

En mars 2020, c’est un système judiciaire « archaïque, où rien n’était informatisé » qui a dû se contraindre au virtuel pour poursuivre son travail. Le 12 mars, soit deux ans plus tard, les juges de la Cour supérieure du Québec se sont réunis pour amorcer une réflexion sur l’avenir de la justice, qui combinera les deux modes de fonctionnement. 

« Avant la pandémie, on avait une boutade récurrente : on disait qu’un juriste du 18e siècle n’aurait pas été déstabilisé d’être dans la salle d’audience en raison de nos méthodes très traditionnelles », sourit le juge coordonnateur du district de Chicoutimi à la Cour supérieure du Québec, Martin Dallaire. La juge en chef à la Cour supérieure du Québec Catherine La Rosa ajoute que l’idée d’une justice dématérialisée, « sans-papiers », courait depuis longtemps mais qu’aucun pas n’avait véritablement été franchi.  

Pourtant, il y a deux ans presque jour pour jour, le monde judiciaire s’est retrouvé dos au mur, contraint d’avancer à marche forcée. « Nécessité fait foi de tout, la pandémie nous a fait avancer de 10 ans plus vite que prévu », raconte le juge Martin Dallaire. « Elle a élargi notre coffre à outils dans notre façon de donner accès à la justice », image-t-il. 

Le virtuel voué à rester 

Car si les débuts n’ont pas été évidents, cette nouvelle formule judiciaire a fait ses preuves. Pour des experts habitant Montréal ou Québec par exemple, plus besoin de parcourir des centaines de kilomètres pour livrer une courte rhétorique. La Directrice des poursuites criminelles et pénales du district d’Alma, Amélie Gilbert, y trouve elle aussi son compte, notamment en ce qui concerne l’organisation de la salle. « En tant que procureure, je suis toujours de biais par rapport à la personne qui témoigne, je la vois de profil. Même à proximité, je manque une certaine partie de ses expressions ». Avec le virtuel, à contrario, le témoin se présente à elle de face, ce qui lui permet une meilleure analyse. L’avocat criminaliste François Dionne reconnaît aussi de nombreux avantages, mais ne partage pas l’enthousiasme de sa consoeur sur ce point, rapportant une plus grande difficulté à interpréter le langage corporel des témoins en virtuel. 

Si la formule n’est pas parfaite, les possibilités qu’elle permet poussent vers un modèle hybride. La justice de demain ne sera pas totalement virtuelle, mais les visioconférences continueront à s’inviter dans le processus, tous les acteurs de la justice s’accordent là-dessus. « On peut imaginer des audiences lors desquelles le juge, le greffier, les avocats des parties principales sont en présence et les témoins secondaires sur écran pour éviter des déplacements inutiles », anticipe Catherine La Rosa. 

Les avancées du virtuel ne seront pas effacées. « La place des technologies et des caméras pour les visioconférences est prise en compte dans la révision des salles du palais de justice de Québec », explique la juge en chef. Mais pour mener à bien sa mission, la justice doit continuer de placer l’humain au cœur du processus. « Il faut garder une justice de proximité, il est essentiel d’être physiquement présent dans chaque district. »

Écrit en collaboration avec Justin Escalier

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