L’art du breaking aux JO : entre publicité et perte d’identité
Audélie Dufour a commencé le breaking il y a seulement deux ans. Photo : Esther Dabert.
Est-ce que notre art sera dénaturé ? Voilà la question qui pèse sur l’esprit de plusieurs danseurs de break depuis que ceux-ci ont appris que leur activité rejoindrait la liste officielle des Jeux olympiques de Paris 2024. Parmi les inquiétudes évoquées, la crainte d’une perte de liberté ainsi que l’absence de mention des origines urbaines du breaking.
« Appréhension », c’est le terme que le danseur Emile Allard-Jacques, alias « So Jack », ne cesse d’avoir à la bouche depuis l’annonce. Directeur des danses urbaines à Danse Sport Québec à Montréal, enseignant de break et directeur du comité d’organisation de Plus + Battle, pour ce pratiquant aux multiples casquettes, le break est bien plus qu’un sport, c’est un art dont l’histoire mérite d’être entendue. « J’ai un peu peur parce que cet organisme met plutôt à l’honneur les sports que les arts », avance-t-il. Issu des rues du Bronx des années 70, le break ne cache pas ses racines urbaines. Au contraire, il en fait sa force. « Je trouve que c’est plutôt ironique parce que les JO sont une institution qui déplace des populations, souvent plus démunies, alors que ce sont ces mêmes populations marginalisées qui sont à l’origine du break, ajoute le danseur. C’est un devoir de mémoire que de se rappeler de cette histoire et j’ai peur qu’ils l’oublient. »
Respecter « l’essence du break »
À cet aspect plus historique s’ajoutent également des inquiétudes sur le plan technique. Pour la jeune enseignante de 15 ans à l’école de danse SMG de Jonquière, Audélie Dufour, l’un des problèmes repose sur le vocabulaire qui sera employé par l’institution. « J’ai peur parce que les organisateurs ont annoncé qu’ils allaient traduire les noms des figures en français alors que les mots c’est l’essence même du break, raconte l’adolescente. On ne va pas appeler un baby freeze un “bébé gelé”. » Selon la b-girl, terme employé pour définir les pratiquantes du break, l’évolution est inévitable. Au cœur des inquiétudes notamment, le nouveau système de notation. « À l’époque, on votait à main levée. Maintenant avec le système de pointage on va avoir des critères objectifs sur le flow etc, et ce n’est pas l’essence du break, développe Emile Allard-Jacques. J’ai peur qu’au final il y ait une séparation entre le côté sportif et artistique. »
Selon une partie de la communauté, les JO permettraient au break d’être plus pris au sérieux. Photo : Esther Dabert.
Une chance de se faire connaître
« Est-ce que le skate a été dénaturé ? Je ne crois pas. Au contraire, ça a permis de le populariser. » Tout comme le président du Studio party time de Québec, Guildo Griffin, une grande partie des b-boys et b-girls ne voient pas cette annonce d’un si mauvais œil. « Les puristes trouvent ça inadéquat mais ça va faire connaître notre art et nous donner une visibilité internationale, affirme le danseur. On va enfin se retrouver dans le salon de monsieur-madame tout le monde ! »
Et cette publicité sur « la plus grande vitrine du monde », Guildo Griffin est loin de s’en plaindre. « Honnêtement, est-ce qu’on a gagné plus de membres depuis que le break est inscrit aux JO ? Oui. Est-ce qu’on va en avoir encore plus après ? Je pense bien. » Tout comme Emile Allard-Jacques, le président émet malgré tout quelques réserves sur le choix des futurs membres du jury. « Si les juges qui sont choisis sont reconnus par notre communauté c’est une bonne chose. En attendant, on va regarder ça de près mais on a hâte de voir l’impact et surtout les retombées qui vont sans doute être positives, on l’espère », conclut Guildo Griffin.