L’exotisme s’invite au Québec
Mattéo Picone récolte ses premiers citrons depuis un an. Il attend de les perfectionner avant de les proposer à sa clientèle. (Crédit : Mattéo Picone)
En plus d’être déjà bien présents dans nos assiettes, les fruits exotiques poussent désormais au Québec, dans des serres les protégeant du froid. L’impact écologique de cette pratique contraire à la loi de la nature pèse tout de même sur le concept.
Des agrumes sous la neige ? Difficile à imaginer pour certains, mais pas pour Mattéo Picone. Citrons, oranges, pamplemousses, mandarines… Ses terres en regorgent. Depuis trois ans, ce conseiller pédagogique, passionné de jardinage, s’est lancé le défi de compléter son exploitation, installée à Saint-Cuthbert.
« Au début, je souhaitais exploiter un petit jardin afin de nourrir les miens avec des légumes et des fruits de qualité, sans produit chimique, explique Mattéo Picone, à la tête de son entreprise agricole biologique Jardin Bio Mattéo. Puis j’ai voulu tenter de produire des fruits exotiques car il n’y avait pas d’offres sur le marché donc c’était parfait pour me démarquer et augmenter le coût de mon panier. »
C’est grâce à des serres chauffées que ces fruits tropicaux peuvent se développer dans le climat froid du Québec. Dans la province, la culture en serre est très développée. Selon le gouvernement québécois, en 2021, 624 entreprises utilisaient cette méthode pour faire pousser des fruits et légumes jusqu’à 12 mois par an. Malheureusement, cette technique n’est pas forcément la meilleure pour l’environnement. « Mes serres sont chauffées au gaz propane. Il n’est pas dit que je ne fasse pas une transition vers l’électricité, mais les coûts sont énormes pour un petit producteur comme moi », ajoute-t-il.
Pour le moment, la production de fruits tropicaux s’inscrit seulement à petite échelle au Québec. Depuis son jardin, Mattéo Picone développe donc de nouvelles expertises avec l’objectif de développer son installation, en favorisant toujours la qualité de ses produits et le bien-être de l’environnement. « J’essaie d’être dans une démarche écologique avec mes produits biologiques, dit-il. Par exemple, j’utilise surtout des auxiliaires, soit des insectes qui vont s’attaquer aux autres bestioles nuisibles. »
Sur place ou à importer
À l’échelle mondiale, parmi les combustibles fossiles, le gaz naturel est en troisième position, après le charbon et le pétrole. Au Québec, l’agriculture a longtemps été un défi. « Beaucoup d’émissions de gaz à effet de serre sont associées à l’agriculture au Québec, c’est à peu près 10 à 11% des émissions dans la province », explique Patrick Faubert, professeur au département des sciences fondamentales de l’Université de Québec à Chicoutimi.
Faire pousser des fruits exotiques au Québec ou les importer depuis l’étranger, aucune proposition ne convient donc totalement à l’environnement. « En important, on induit un dommage environnemental dans un autre pays, ainsi que des émissions de gaz à effet de serre par le transport. Faire pousser sur place reste moins dommageable, et d’autant plus si des alternatives au gaz étaient utilisées », décrypte Patrick Faubert. Mais lesquelles ?
Un gaz plus propre
Au Québec, depuis 2020, la loi impose aux distributeurs d’injecter du gaz naturel renouvelable dans leur réseau à un certain pourcentage. La raison : produire du gaz naturel renouvelable est beaucoup moins dommageable pour l’environnement que d’aller chercher du gaz de schiste dans l’ouest canadien.
Selon Patrick Faubert, l’écologie industrielle serait aussi un bon moyen de pallier l’empreinte écologique des serres chauffées. « Les serres peuvent utiliser des résidus d’énergie ou de chaleur provenant d’autres sources », explique-t-il. À Saint-Félicien, les serres Toundra sont en lien avec l’usine de pâtes et papiers de la ville. La valorisation des rejets thermiques de l’usine permet au complexe serricole de couvrir 25% de ses besoins en chauffage. « À ce niveau-là, ça peut être intéressant de jumeler une serre avec une industrie qui génère de la chaleur et aussi des émissions de dioxyde de carbone, essentiel pour faire pousser de façon assez accélérée les produits en serre », développe le professeur en sciences environnementales.
Alors les fruits exotiques au Québec ont-ils lieu d’être ? Pour Patrick Faubert, il s’agit surtout de limiter les dommages environnementaux et cela passe par des efforts collectifs pour changer ses habitudes alimentaires. « Fini les fraises au mois de décembre… », dit-il d’un air désolé. Matteo Picone, lui, voit la situation sous un autre angle. « Avec les changements climatiques, l’autonomie alimentaire pour un pays nordique devient un défi et je vais y contribuer », confie-t-il, plein d’espoir.