L’écriture inclusive tarde à faire sa place à l’école

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Bien que l’écriture inclusive ait déjà fait sa place dans plusieurs sphères de la société, beaucoup reste à faire en matière d’éducation et de sensibilisation quant à l’utilisation de cette nouvelle manière d’écrire. Que ce soit par manque d’uniformisation dans sa pratique ou par conservatisme, plusieurs facteurs sont à l’origine de son instauration plutôt tardive sur les bancs d’école. 

L’écriture inclusive a été pensée et mise sur pied dans un objectif de représenter l’ensemble des identités de genre dans la langue, et ce, sans en exclure aucune, d’où le qualificatif « inclusive ». Plusieurs stratégies grammaticales et de nouvelles règles de rédaction ont été conçues afin de mener à bon port cette initiative. 

Une réforme qui fait jaser 

C’est entre autres par l’entremise de guides institutionnels ou littéraires qu’ont été établies des balises et des normes en matière d’écriture inclusive. À titre d’exemples, l’Office québécois de la langue française (OQLF) et le gouvernement canadien ont tous deux rendu publics des lignes directrices quant à son utilisation.  

« Il y a eu plein de réformes par le passé dans l’histoire de la langue française. Or, ce qui se passe avec l’écriture inclusive c’est quelque chose de très intéressant. C’est une réforme qui vient du peuple et non de l’Académie française. C’est particulier qu’on en soit rendus aussi loin », commente Sandrine Tailleur, linguiste à l’Université du Québec à Chicoutimi. 

La poussée de cette nouvelle réforme de la langue s’avère essentielle pour ceux qui la supporte. « En fait, la langue française est très genrée. Soit c’est masculin, soit c’est féminin. Ne m’identifiant pas à aucun de ces deux genres-là, l’avènement de l’écriture non-binaire vient valider que j’ai le droit d’exister, parce que sans elle, c’est comme si je n’existais pas », confie Jules Doucet, un individu non-binaire qui a récemment statué sur son identité de genre auprès de son entourage. 

Cependant, cette mouvance linguistique ne plait pas à tous. « La langue n’est pas un outil de revendications. Que les gens qui prônent l’inclusion aillent manifester devant le parlement, ça m’est égal, mais qu’ils ne se servent pas de langue à des fins socio-politiques. Le français est tout sauf un lieu de représentation, ne massacrez pas la langue s’il-vous-plait », fait quant à lui valoir Christian Rioux, chroniqueur pour Le Devoir 

Malgré les tractations prônant un traditionalisme de la langue, plusieurs acteurs et groupes de la francophonie ont affiché ouvertement leur ouverture aux enjeux d’inclusion. C’est le cas notamment de la revue Québec Science et du Journal Métro qui ont été précurseurs en matière d’écriture inclusive dans la sphère médiatique québécoise. 

« Ça nécessite un moment d’adaptation pour les journalistes qui ne sont pas habitués à l’utiliser. La féminisation des termes, ce n’est pas un automatisme auquel on pense forcément quand on débute. Maintenant, c’est rendu un réflexe. On est en 2023, je pense qu’on est rendus là », assure Marie-Soleil Lajeunesse, rédactrice en chef du Montreal Campus, un autre journal s’étant pleinement investi dans l’écriture inclusive. 

Une place ailleurs que dans les médias 

Quoique plusieurs universités et cégeps du Québec aient décidé d’instaurer des politiques inclusives au sein de leurs établissements, l’application de celles-ci n’est pas toujours aussi aisée sur le plan académique. 

À l’Université du Québec à Montréal (UQAM), deux étudiantes se sont vues priées d’arrêter d’écrire de façon inclusive dans la correction d’un de leurs travaux, et ce, même si l’université dans laquelle elles étudient s’est positionnée favorablement quant à l’emploi de cette façon de rédiger. 

« C’était la première fois que je recevais un commentaire par rapport à mon utilisation de l’écriture inclusive. C’était écrit : “cessez l’écriture inclusive ‘. C’est incompréhensible que l’UQAM fasse la promotion de l’inclusion, mais que chaque enseignant soit libre ou non d’accepter l’écriture inclusive dans ses travaux », raconte l’une d’elles, Jennifer Harnois-Ostiguy. 

Pour sa collègue Léa-Marie Tremblay, la position de l’enseignant en question a représenté un réel affront. « J’étais tellement fâchée de ce qui nous était reproché. J’ai trouvé que c’était violent commentaire. Aujourd’hui, avec tous les enjeux de la diversité, c’est important de prendre conscience que la façon dont on communique a un impact sur les gens qui font partie de ces réalités », renchérit-elle. 

C’est exactement dans cette optique d’éducation et de sensibilisation aux réalités de la communauté LGBTQAI2S+ que des organismes tels que la Fondation Émergence ont vu le jour. « Notre mission c’est que l’écriture inclusive soit utilisée le plus possible. Donc, on offre des services en entreprise pour rendre les milieux de travail plus inclusifs. Il y a toujours des compromis à faire entre accessibilité et inclusion, c’est un peu notre rôle », illustre la chargée de programmes, Olivia Baker. 

Le primaire et le secondaire encore loin derrière 

Dans la région, certains centres de services scolaires comme celui de La Jonquière et celui des Rives-du-Saguenay ont avoué ne pas être au courant de ce qu’est l’écriture inclusive lorsque La Pige les a contactés. Selon l’enseignant en français au Cégep de Jonquière Guillaume Girard, une raison bien précise explique cette méconnaissance.  

« Ça s’est plus vu à Montréal avant. Je suis parti à Montréal en 2012 et c’est dans mes implications que j’ai connu des personnes non binaires ou des personnes trans, mais avant je n’en avais jamais connues dans mon entourage. Ce qui veut donc dire qu’il ne faut pas s’attendre avant 2012, dans la région, de voir une conscientisation », soutient celui qui travaille actuellement à la rédaction d’un guide d’écriture inclusive pour le collège. 

Toujours selon l’enseignant, l’écriture inclusive est perçue comme une prise de position politique par plusieurs de ses collègues. Selon ce dernier, certains enseignants et enseignantes préfèrent s’en tenir à la méthode traditionnelle d’écrire. « Quel est l’intérêt pour un enseignant qui est bien dans ses bottines à faire des efforts pour apprendre l’écriture inclusive et l’enseigner. Probablement qu’il n’a pas vraiment le goût et qu’il n’a pas vraiment envie de le faire non plus. S’il n’est pas intéressé, à quel point va-t-il être en mesure de le transmettre à ses étudiants », souligne-t-il.  

Un souhait de M. Girard pour le futur est que l’écriture inclusive ne soit plus qu’un simple choix. « Ce jour-là, on pourra demander aux profs de l’enseigner, mais nous ne sommes pas rendus là. Pour l’instant, c’est au bon vouloir des enseignants, en fonction de leur posture identitaire et en fonction de ce qu’ils croient important. On ne peut obliger quoi que ce soit », assure ce dernier.  

 

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