Attente démesurée pour consulter un psychologue
Le ministère de la Santé et des services sociaux estime qu’il manquera 957 psychologues d’ici 2025 dans le réseau de la santé, ce qui représente environ la moitié des effectifs (Morency & Lavoie, 2020).
« À un moment, j’ai considéré faire une tentative de suicide juste pour pouvoir avoir les ressources dont j’avais besoin. » Au Québec, autour de 8 600 personnes figurent sur une liste d’attente pour avoir accès à des services en santé mentale dans le réseau public, selon le ministère de la Santé et des services sociaux. Le délai est actuellement de 6 à 24 mois pour rencontrer un psychologue.
Virginie Mailloux
« J’ai eu des idées noires il y a quelques mois et je suis allée à l’hôpital. J’ai attendu 11 heures. J’ai dormi là-bas pour que finalement, le lendemain, on me dise que le psychiatre ne pouvait pas me voir. » Frédérique Tassé-Riopel est une étudiante de 24 ans qui consulte périodiquement depuis une dizaine d’années. En 2021, elle a reçu un diagnostic de trouble de la personnalité limite. Aujourd’hui, elle attend toujours d’avoir accès à des thérapies de groupe.
« Je ressens vraiment que si j’allais à des thérapies de groupe avec des gens qui sont comme moi, ça m’aiderait tellement dans mes processus de pensée (…) Même si je consulte, ça ne change pas grand-chose pour moi. Le psychologue peut dire ce qu’il veut, je ne suis pas capable de rationaliser rien », confie-t-elle.
Des besoins criants
La cofondatrice et présidente de la Coalition des psychologues du réseau public québécois (CPRPQ), Karine Gauthier, travaille parallèlement à temps plein dans un hôpital. Dans les dernières années, elle a observé une croissance de la détresse psychologique. « C’est clair que présentement, on ne répond pas aux besoins de la population, particulièrement chez les jeunes, qui ont été énormément affectés par la pandémie et qui le sont encore. »
De son côté, le président de l’Association des psychologues du Québec, Gaëtan Roussy, déplore les délais de prise en charge. « Les gens ont fini par trouver de l’aide ailleurs, de toutes sortes de façons. Malheureusement, il y a beaucoup de gens qui sont sur les listes d’attentes et qui se désistent parce qu’ils sont découragés […] Mais il n’y a pas vraiment de moyen pour forcer le système à aller plus vite malheureusement. »
L’année passée, Frédérique a fait appel au service d’aide Aire Ouverte, une ressource gratuite pour les jeunes de 12 à 25 ans. Elle y rencontrait une intervenante sociale à chaque semaine. À ses yeux, c’était une alternative intéressante mais pas suffisante. Depuis sa visite à l’hôpital il y a quelques mois, elle attend toujours de rencontrer un psychiatre. « Je ne pense pas y avoir accès avant la fin de mes études (en mai prochain). »
L’exode des psychologues
Les listes d’attente interminables entravent l’accès aux psychologues dans le réseau de la santé et de l’éducation. L’écart entre le nombre de professionnels œuvrant au public et au privé s’explique par une disparité significative des salaires et de la liberté de pratique. De nombreux professionnels ont quitté les milieux hospitaliers et scolaires pour se diriger vers la pratique en clinique privée. Dans la dernière décennie, 25% des psychologues ont quitté le milieu public, selon Karine Gauthier. Malgré cela, le Québec est l’endroit comptant le plus de psychologues par habitant en Amérique du Nord.
Le 7 juin 2024, une nouvelle convention collective a été signée, améliorant les conditions salariales des psychologues du réseau public. « Je pense qu’il va y avoir des améliorations (…) Mais c’est très lent avant de changer. Il n’y a pas vraiment de volonté et je me demande si le gouvernement comprend très bien ce qu’est la santé mentale et c’est quoi les besoins », expose Gaëtan Roussy.
Un syndicat représentatif
La Coalition des psychologues du réseau public québécois milite depuis six ans pour la création d’un syndicat indépendant. Karine Gauthier estime qu’en améliorant les conditions de travail dans le réseau public, plus de psychologues choisiraient d’y travailler, réduisant considérablement les listes d’attentes.
« Notre but c’est d’améliorer l’accès aux psychologues dans le réseau de la santé et dans le réseau de l’éducation au Québec. »
Actuellement, ils sont groupés dans différents syndicats comptant de nombreuses autres professions du réseau public, dans lesquels ils sont sous-représentés. « On est vraiment perdus dans un immense groupe. On est moins de 3% au sein de ces syndicats ». Dans ces regroupements, leur métier est également le seul qui exige une formation doctorale.
La coalition a mené un sondage auprès de mille psychologues en 2023. Les résultats montrent que 95% des psychologues dans le réseau public appuient l’idée d’un syndicat indépendant. Chez les étudiants au doctorat en psychologie, le support est équivalent.
« J’ai espoir. Ça continue de progresser et on continue de démontrer de pleins de façons comment c’est essentiel d’avoir une bonne représentation sur le terrain », assure Karine Gauthier.