Les aurores boréales, un patrimoine à protéger ?

« L’hiver deviendra la période la plus compliquée pour observer des aurores boréales », estime le photographe Laurent Silvani. Pour cause, les lumières des magasins, marchés, maisons sont plus fortes lors des fêtes de fin d’année et la neige blanche reflète les lumières artificielles vers le ciel.
Photo : Laurent Silvani, mai 2024, Saint-David de Falardeau.
La pollution lumineuse menace la visibilité des aurores boréales au Saguenay–Lac-Saint-Jean, une région réputée pour ses cieux étoilés. Entre urbanisation croissante et éclairage artificiel, le spectacle naturel devient de plus en plus difficile à observer.
Raphaëlle Savary
« Pour beaucoup de confrères chasseurs d’aurores boréales, le Saguenay-Lac-Saint-Jean est devenu notre lieu de prédilection », estime le photographe Laurent Silvani. Pour les chercheurs en astronomie, le territoire répondrait à tous les critères d’apparition de ce phénomène majestueux. « Les aurores boréales se forment lorsque des particules chargées provenant du soleil entrent en contact avec le champ magnétique terrestre. Elles créent des jeux de lumière spectaculaires, visibles principalement dans les régions proches des pôles, à latitude et obscurité parfaites, comme le Saguenay–Lac-Saint-Jean », explique Simon Villeneuve, professeur d’astronomie au Cégep de Chicoutimi.
Une nouvelle condition de visibilité
Mais ce phénomène et les grands espaces verts de la région attirent de nouvelles personnes, pour un jour ou pour une vie. De quoi augmenter l’urbanisation des villes comme Chicoutimi, Alma ou encore Dolbeau-Mistassini. « Maintenant, on est obligé d’utiliser des applications pour localiser les sites trop éclairés, afin de voir le ciel. Si la problématique n’est pas nouvelle, ce n’est que récemment qu’on l’a constatée, ici, au Saguenay », affirme Laurent Silvani. Le directeur de l’observatoire de Saint-Félicien, Claude Boivin, insiste même sur le fait que « il y a encore quelque temps, la région n’était même pas présente sur l’échelle de Bortle, mesurant la pollution lumineuse. Aujourd’hui, elle est déjà échelonnée 3/4 sur 9 ».
Nouveaux immeubles, nouvelles rues à éclairer, véhicules qui circulent le soir… Ces sources de lumière perturbent non seulement l’écosystème nocturne, mais elles rendent également plus difficile la visibilité des aurores boréales. « Un voile lumineux se dépose et il n’y a plus de contraste entre les phénomènes astronomiques et le ciel. La Voie lactée et les étoiles ont disparu de certains paysages depuis longtemps, il ne faudrait pas se retrouver privé de ce phénomène naturel spectaculaire », insiste l’astronome Claude Boivin.
Laurent Silvani insiste sur le nombre de ses confrères qui quitte Montréal et la ville de Québec pour venir vers la rive-Nord et le parc des Laurentides. Ces grands centres urbains seraient dorénavant dépourvus de phénomènes astrologiques visibles. Crédit : espaces pour la vie Montréal.
Une prévention avant la privation
« Néanmoins, il ne faut pas oublier que le territoire est immense et que quitter les centres urbains n’est pas compliqué », insiste le photographe. Pour tous, la pollution lumineuse n’est pas encore un problème majeur, mais pourrait le devenir d’ici quelques années. Certains espaces, comme les serres Toundra de Saint-Félicien, font déjà l’objet de polémiques, de la part du site astronomique et des habitants. « De ces polémiques est né un comité public composé d’experts et de citoyens, afin de conscientiser et de faire pression sur les pouvoirs publics », explique le professeur Simon Villeneuve. Au cœur du projet, le conférencier et professeur de Sherbrooke, reconnu à l’international, Martin Aubé.
Des initiatives qui ont résonné avec d’autres et qui ont fait réagir les MRC, comme celle du Domaine-du-Roy et Maria-Chapdelaine, affirme le préfet Yanick Baillargeon. « Actuellement, le but est d’avoir de nouveaux lampadaires à lumières bleues, des panneaux obstruants noirs et de nouvelles réglementations. » Des dispositions déjà prises au Saguenay, selon le porte-parole de la ville, Dominic Arseneau. « La visibilité du ciel et des aurores boréales fait partie d’une certaine qualité de vie propre au Saguenay, donc évidemment il y a des règles et chaque maison a un rayonnement lumineux à ne pas dépasser. »
Pour les municipalités concernées, « tout est une question d’équilibre », insiste le préfet du Domaine-du-Roy. Le défi, porté lors des prochaines consultations publiques organisées à Saint-Félicien, sera de satisfaire les usagers du centre-ville de nuit et les amateurs de phénomènes astronomiques.